A la fois nombreuses et rares, les apparitions tunisiennes de Khaled Ben Slimane sont souvent l'occasion d'une rencontre avec la tranquille assurance d'un plasticien qui, depuis près d'une trentaine d'années, vogue sur les doux océans de la création. Peintre, céramiste et sculpteur de notoriété internationale, ayant exposé dans les galeries du monde entier, il symbolise également la création contemporaine tunisienne dans le monde arabe. Du 1er au 23 mai, il investit les pans de l'élégante demoiselle de la place du Saf Saf, Galerie El Marsa, parée de mille feux pour l'événement. Les dimensions de la salle d'exposition se sont multipliées, faisant de cet espace un «mini-musée» prêt à accueillir non plus seulement des présentations, mais des rétrospectives ou même des collections. Khaled Ben Slimane, fidèle à ses thèmes de prédilection, y expose des œuvres autour de matières spirituelles telles que l'espace, l'univers et le cosmos. Inédits pour la plupart, ces ouvrages racontent un parcours existentiel, celui du rapport de l'Homme à son monde, au temps qui le pénètre et le transporte, à l'espace qui le domine et l'envahit. Macrocosmes sphériques où la terre ressemble étrangement à de poétiques galaxies. L'atmosphère s'y veut immense et infinie. L'artiste sublime ces idées en figures et formes hautaines et inaccessibles, elles sont en lévitation permanente entre graphisme, architecture et verticalité. Une architecture qui se veut avant tout édifice à vocation immatérielle. N'est-ce pas le philosophe Schelling qui a dit : «L'architecture est l'allégorie de l'art de bâtir», pour Khaled Ben Slimane, elle voudrait être « l'allégorie de l'art d'émouvoir». Afin de mettre à nu les tendances profondes d'une incantation en mode d'élévation, celles d'une ascension qui pose son récit autour d'une pléthore d'œuvres appartenant au passé par leur seule inscription chronologique. Les voir trônant au milieu de leurs juvéniles compères ne fait que leur donner encore plus d'éclat. Comme l'œuvre «Paraphe», une gouache sur papier qui date de 1980, présentant des couleurs saisissantes de par leur plénitude et intensité. Khaled Ben Slimane a directement puisé, pour ce «paraphe», dans des manuscrits arabes, qu'il voit annotés à la fin d'une lettre. Elle est d'ailleurs exposée dans la galerie pour appuyer la peinture de l'artiste. Fortement influencées par l'héritage arabo-musulman, ces inspirations portent des couleurs flamboyantes où nous saisissons toute la dimension de ce que nous appelons les «arts du feu». Le plasticien ne connaît-il pas le savoir ancestral de la poterie ? Ocre, rouge, bleu, jaune vif et or, ses couleurs sont souvent pures comme cet ineffaçable «paraphe». L'écriture s'y affirme comme une apparence visuelle, elle est idéographie au service d'une idée, elle est arabesque comme fait esthétique. Il reprend les plus vieilles traditions du manuscrit, car à part écrire, tracer, griffonner à la main, il le fait aussi pour certaines de ses planches sur papier arche rappelant par là même les inscriptions sur parchemin, vélin, papyrus ou papier. De gigantesques toiles telles que «Ascension XIV» et «Ascension V» ont ce trait particulier de présenter diverses griffures et enluminures, les grattages se superposent sur les inscriptions dorées, bronze ou or. L'enluminure n'y est jamais ornementation, elle est calligraphie, trace et écriture. Quête incorporelle? Un grand mot qui paraît encore plus monumental à l'approche de ses vertigineuses toiles de la série «Ascension». Elles deviennent alors repères ou totems qui sillonnent les cimaises marsoises tels des panneaux d'affichage qui éclairent en pleine obscurité. Khaled Ben Slimane se fait alchimiste, imprégné par la mouvance surréaliste et informelle. Il vient se greffer sur des proximités aux accents philosophiques asiatiques et bouddhistes, esprit japonisant dont il est un inconditionnel depuis ses nombreux stages et formations au Japon. Ses territoires ludiques sont irréversiblement consacrés au royaume des signes. Réveil des signes et réveil des sens, les pictogrammes et pictographies y font résonance aux chants soufis mis en scène par le «graffiti». Construction, structure d'un signe, pour transcender le soi-même. Cette auto-personne qui se regarde agir à l'intérieur de son œuvre. Celle-ci devient perception, état, libération… utopie et illusion. Sans vouloir instaurer une «théorie des signes», Khaled Ben Slimane le pose comme indice ou symptôme, qui révèle aussi bien la pensée de l'artiste que les tendances de la société comme possible facteur porteur d'une spiritualité. Dans ce sens, il veut «faire signe», la trace de son pinceau devient geste de la main, pour appeler le regardeur et lui indiquer ou exprimer quelque chose. Le signifiant et le signifié s'entrelacent alors pour faire récit et le sensible s'y découvre comme suggestion du sensoriel.