Khaled Ben Slimane expose aujourd'hui son travail artistique dans une galerie à La Marsa. Cette exposition, où peinture et céramique se côtoient, reste fidèle aux choix de l'artiste qui, depuis ses débuts en 1980, a toujours associé les deux. Ben Slimane tenait à cette double démarche qu'il a assumée dans presque toutes ses expositions (1982, 83, 85, etc.) où il faisait se côtoyer des objets artistiques utilitaires (tasses, sous-tasses, vases…) et des travaux plastiques (peinture et même sculptures). L'artiste a toujours voulu impliquer son travail principal de céramiste dans une mouvance picturale : la céramique occupait chez lui le devant de la scène et alimentait pendant longtemps ses approches plastiques. Dans une exposition du début des années 80, et malgré la présence de travaux graphiques d'une qualité certaine, Ben Slimane, en éventrant ses formes en céramique et en déchirant leurs surfaces bien lissées, a continué à considérer sa céramique comme le lieu où la plasticité reste le centre de ses préoccupations. Et dans l'exposition de 1982 à la galerie Attaswir que nous avons nous-mêmes introduite, Ben Slimane avait présenté des esquisses graphiques sans rapport visible avec l'œuvre céramique qu'elles accompagnaient. Les objets en céramique étaient habités eux-mêmes de préoccupations plastiques où la forme parfaite, lisse, sculpturale, se suffisait à elle-même. La plasticité était alors dans l'œuvre céramique. Dans les autres expositions collectives ou dans des manifestations de design (objets luminaires avec des artistes céramistes connus comme Faouzi Chtioui, Mériem Cheltout, Abdelhamid Bouden, Raoudha Mimita…), Ben Slimane continue à se préoccuper des formes de céramique et de leur décoration. Avec ce que Ben Slimane nous donne à voir aujourd'hui, nous assistons peut-être à un renversement dans le rapport entre céramique et peinture dans l'œuvre de l'artiste. La 1ère rupture La grande rupture de Ben Slimane avec sa pratique de céramiste date de son voyage au Japon. Ce qu'il rencontre et qui le bouleverse, ce n'est pas tant la qualité exceptionnelle de la céramique japonaise que son côté spirituel. La tasse de thé japonaise (simple forme traversée de couleurs et de calligrammes) tout en remplissant sa fonction était pratiquement une relique. La spiritualité, l'immatériel habitaient la matière. Ben Slimane subit, dans ce Japon où la céramique est 14 fois millénaire, le poids de la spiritualité qui en émane. Ce qu'il rencontre donc en découvrant la céramique japonaise et l'un de ses grands maîtres T.Nakazato le 12e considéré comme patrimoine vivant, c'est la jonction possible entre un objet céramique et l'espace spirituel qu'on peut y rattacher. Depuis cette expérience, Ben Slimane annonce de nouveaux itinéraires dans son travail artistique. C'est depuis cette période en effet que l'on assiste à l'apparition de formes en céramique de plus en plus simples associées à des signes à forte connotation mystique d'une insoutenable incantation : Allah, Houa… La 2e rupture L'expérience d'aujourd'hui, comme en témoigne l'exposition de La Marsa, est une sorte d'approfondissement de la nouvelle approche esthétique de Ben Slimane. L'exposition compte un nombre imposant de tableaux de peinture de dimensions aussi bien petites, moyennes que monumentales. Les tableaux de peinture reçoivent toute la nouvelle démarche de Ben Slimane. Les signes calligraphiques incantatoires signifiant les 99 noms d'Allah, tantôt bien rendus et rythmés, tantôt à peine esquissés, traversent toute la toile. Quelques-uns reçoivent des représentations aux contours architecturaux très libres et fortement dorés. La toile peinte en une couleur vive bleu uni ou recevant une concentration graphique la rythmant est dorénavant le lieu où Ben Slimane exprime le plus efficacement ses préoccupations esthétiques. Les objets utilitaires, les coupes, les vases, les stèles en céramique sont abandonnés au profit d'une peinture où la représentation graphique de coupoles, de minarets se meuvent dans une ambiance empreinte de joliesse et de dorure. Le tableau de Ben Slimane se libère de la matérialité et gagne son autonomie et rassemble, dans un certain ordre, ses couleurs, ses signes et sa calligraphie. Ben Slimane se déleste de sa céramique et développe une picturalité exprimant une monumentalité singulière. L'autre aspect qui a gêné les observateurs de la vie artistique tourne autour des prix des tableaux proposés à la vente, allant de 65.000 à quelques milliers de dinars. Tout en reconnaissant que le marché de l'art est libre, qu'il n'est limité par aucune considération en dehors de celle de l'offre et de la demande, il nous semble que les prix pratiqués ainsi font voler en éclats un marché de l'art déjà très mal en point dans notre pays… à moins que par ces prix on ne vise un autre marché et un autre pays ou région du Golfe. Cette «mondialisation» de la peinture tunisienne, si elle se réalisait, pourrait constituer une réponse à la crise que traverse le marché de la peinture dans notre pays, mais cela est une autre histoire!!! Le sauvetage pourrait-il venir d'ailleurs?