Par Amin BEN KHALED* «La victoire dans une partie d'échecs appartient la plupart du temps à celui qui voit un peu plus loin que l'adversaire.» Emmanuel Lasker (champion du monde d'échecs de 1894 à 1921) Le présent article ne cherche pas à prendre un parti pris pour une quelconque formation politique. Il essaye uniquement d'analyser d'une manière rationnelle la position et la marge de manœuvre de «Nida Tounès» sur l'échiquier politique tunisien dans la perspective des prochaines élections qui se tiendront probablement – sauf «cas de force majeure» – en 2013. Le raisonnement qui anime cet article est hypothético-déductif, en ce sens qu'on partira d'un ensemble de postulats que l'on tiendra pour probables et voir quelles en sont les conséquences possibles. Du reste, il appartiendra au futur et à l'Histoire le soin de vérifier la validité d'une telle démarche. On considérera, tout d'abord, que les prochaines élections seront libres, indépendantes, transparentes et démocratiques et que les Tunisiens voteront librement en leur âme et conscience, sans être influencés par quiconque. On considérera aussi que d'ici là, «Nida Tounès» sera une formation plus claire au niveau de son organisation et plus cohérente au niveau de son discours pour le commun des Tunisiens et que cette formation intègrera les forces progressistes qui figurent, aujourd'hui, dans la Constituante (Parti républicain, Pôle démocratique, etc.). On considérera enfin, que les alliances politiques actuelles demeureront globalement inchangées jusqu'à la veille des prochaines élections. Premier postulat : 1,5 Tunisien sur 8 votera pour Ennahdha. Second postulat: 5 Tunisiens sur 8 iront aux urnes dans les prochaines élections. Cela veut dire que, théoriquement parlant, «Nida Tounès» aura 3,5 Tunisiens sur 8 comme population cible. Si l'on suppose que 1 Tunisien sur 8 fera un vote inutile pour des partis anonymes ou pour des indépendants peu connus (troisième postulat) et que 1⁄2 Tunisien sur 8 votera pour l'extrême gauche et les partis nationalistes arabes (quatrième postulat), il ne reste pour «Nida Tounès» que 2 Tunisiens sur 8 comme population cible. Cependant, on a occulté jusque-là deux partis, à savoir Ettakatol et le Congrès pour la République. Car dans la bataille déclarée entre «Nida Tounès» et Ennahdha le poids de ces deux formations sera décisif. Plus Ettakatol et le CPR obtiennent de voix et plus la position de «Nida Tounès» se fragilise. C'est la raison pour laquelle un parti comme Ennahdha a intérêt à maintenir l'alliance avec ces deux alliés conjoncturels qui puiseront dans les 3,5 Tunisiens sur 8 qui ne sont pas acquis au parti islamiste. Fort probablement, et dans un futur proche, le véritable adversaire de la formation d'Essebsi, sur le plan médiatique et dans la période pré-électorale, ne sera pas Ennahdha mais bel et bien le CPR. Car plus qu'Ettakatol, le CPR ira de l'avant dans son discours de rupture totale avec l'ancien régime en vue d'endiguer la vague de «Nida Tounès». En réalité, le CPR qui, aujourd'hui, ne détient pas vraiment le pouvoir administratif et bureaucratique aura tout intérêt à scander le slogan jusqu'au-boutiste de la lutte contre la corruption et de la «purification administrative», chose qu'Ennahdha – qui exerce le pouvoir via le gouvernement – ne pourra faire, dans l'immédiat, sans déclarer la guerre à l'administration nationale et régionale, ce qui sera incontestablement nuisible au gouvernement de Monsieur Jebali, et par ricochet, au parti Ennahdha. Ainsi, le poids de «Nida Tounès» lors des prochaines élections dépendrait essentiellement de trois variables : 1/ de la capacité d'Ettakatol et du CPR à puiser des voix non acquises au parti Ennahdha. 2/ de la proportion des votes inutiles. 3/ du taux d'abstention. Plus ces variables augmentent et plus la marge de manœuvre de «Nida Tounès» sur l'échiquier national se rétrécit. Dans cette perspective, les adversaires de la formation d'Essesbi auront intérêt à agir simultanément dans trois directions : 1/ en consolidant la Troïka, 2/ en encourageant le foisonnement outrancier des petites formations lors des prochaines élections afin d'éparpiller les voix, 3/ comble du machiavélisme politique, en maintenant un climat de flou politique, ce qui amènera beaucoup de Tunisiens à se demander quelle est l'utilité d'aller voter. De son côté, «Nida Tounès» aura à contrer l'offensive en trois temps : tout d'abord en essayant de fragiliser la posture de la Troïka, et ce, en mettant le doigt sur les contradictions et les insuffisances au sein du gouvernement et de la Constituante, ensuite en prônant une loi électorale qui favoriserait la polarisation des voix autour des grandes formations politiques, enfin en essayant d'investir le terrain neutre des citoyens sceptiques (les 3 Tunisiens sur 8 qui ne voteraient pas) afin d'augmenter ses chances dans l'offensive électorale qui se profile. Cependant, cette analyse de l'échiquier politique tunisien serait insuffisante si on n'observait pas deux autres pièces assez spéciales dont les mouvements peu clairs et assez chaotiques risquent de brouiller les choses. Tout d'abord les salafistes. Dans quelle mesure participeront-ils aux prochaines élections? (L'hypothèse qu'ils puissent déstabiliser le processus électoral est à écarter pour l'instant, car on est parti du principe que les élections se tiendront dans un contexte neutre). Ensuite que fera Al-Aridha populaire? Car si elle décide de faire cavalier seul, dans l'état actuel de l'échiquier tunisien, elle risque de faire des mouvements superflus voire fantaisistes, qui compliqueront certes le jeu politique, mais qui demeureront à notre sens sans réel impact pour le moment sur le cours de la partie. Par conséquent, ces deux pièces «virtuelles» dans notre échiquier sont à écarter pour l'instant en attendant que les positions de «Nida Tounès» et de la Troïka deviennent plus claires. *(Avocat)