C'est un film qui peint des extrêmes, mais aussi, qui confère à son spectateur la sensation des averses diluviennes et des grosses chutes de neige. Un combat de la vie contre la mort et de la splendeur contre la misère. Telle est l'intrigue du nouveau long métrage de l'Argentin Juan José Campanella. Sorti récemment en salles, en France, «Dans ses yeux», cette œuvre cinématographique qui a raflé l'Oscar du meilleur film étranger devant deux œuvres majeures, «Un prophète» et «Le Ruban blanc», évoque l'époque sombre de l'Argentine des années 70. L'histoire ? Benjamin Esposito (Ricardo Darin), collaborateur d'Irène (Soledad Villamil), jeune magistrate, est amené à enquêter sur le viol et l'atroce assassinat d'une jeune institutrice. Déterminé à retrouver l'assassin, il a mis toute son énergie à élucider ce crime. Mais, l'affaire a finalement été classée pour des raisons politiques. Parti à la retraite, vingt-cinq ans plus tard, Esposito décide d'écrire un roman afin de reprendre l'enquête. Une façon de retrouver Irène qu'il ne cessait d'aimer en silence. Orchestré par une succession d'allers-retours entre passé et présent, le film prend la forme d'un voyage au bout des souvenirs d'un homme habité par la douleur. Les flash-back revenant en leitmotiv tout au long du film recèlent des clins d'œil sur la composition thématique de l'œuvre. «Dans ses yeux» serait, aussi, une histoire d'obsession, de vengeance, de justice, d'amour, de perdition, d'errance, d'éveil et de regrets, avec en toile de fond l'Argentine de 1974 et celle de 1999. Dans le détail des scènes, le réalisateur multiplie les flash-back –puzzles, dans lesquels on est à la recherche du mystère de l'assassinat de la jeune femme. Les différents témoins évoqués amènent, par leurs récits, des scènes du passé revécues sous les yeux du spectateur, avec toujours l'ambiguïté propre au cinéma sur le côté véridique de ces scènes. Par ailleurs, ce récit mêlant subtilement les genres : thriller, comédie et mélodrame, joue sur deux tableaux. En effet, tout au long des scènes de flash-back, Esposito mène de pair ses difficultés à emprisonner le criminel et son impuissance à déclarer son amour à la charmante Irène qui dirige son service. Une tournure allégée et élégante Cette association du public et du privé n'est pas sans allusion et sous-entendu. Le réalisateur cherche, de la sorte, à dire les choses indirectement dans une tournure à la fois allégée et élégante, pour évoquer le déclin de l'Argentine de 1974, année du crime, mais également, date de la mort du général Péron, qui gouvernait alors le pays, et de l'accession au pouvoir de son épouse Isabel, qui sera renversée en 1982 par une junte militaire. De ce point de vue, «Dans ses yeux» fait appel à la rapidité d'esprit des personnages et du public pour tenir, au final, la question d'une analyse des dénis de justice entretenus sous la dictature et du cynisme ayant accablé les Argentins durant vingt-cinq ans. Outre la beauté des passages d'une mémoire individuelle à une autre collective ainsi que la danse maîtrisée d'une caméra en incessante partance entre fond et forme, le film est captivant grâce à son art d'inscrire la vérité dans le regard. Tout y est question de regard. L'amour qu'éprouve Esposito à l'égard d'Irène et la réponse en filigrane de celle-ci, la détermination de l'assassin en la personne de Gomez, la dépression du fonctionnaire, tout passe par le regard. Sur ce, «Dans ses yeux» porte bien son titre, en cultivant de bout en bout la technique du point d'orgue. En restant sur un détail, une ponctuation, une chute ou encore une réplique, cette œuvre cinématographique livre des situations lourdes de sens.