L'Etat consacre 300 millions de dinars par an pour aider les familles nécessiteuses La pauvreté et le chômage ont été les premières étincelles de la révolution de la dignité. La révélation de l'ampleur du phénomène par l'historique soulèvement populaire a laissé les Tunisiens pantois. Les premières mesures prises dans l'urgence ne sont pas parvenues à contenir la colère populaire ni à cerner les limites du spectre de la pauvreté. Aujourd'hui encore, les deux grands maux sociaux continuent de rythmer l'actualité politique et sociale sur le tempo des sit-in, des grèves, des blocages de routes et des contestations. Le ministère des Affaires sociales annonce le lancement d'une réforme «sociétale» sur trois ans dans le but de mieux gérer les deniers publics et de n'accorder les aides qu'aux familles qui en ont réellement besoin. Pour cela, le fichier national des familles nécessiteuses devrait être réexaminé au cas par cas pour vérifier la conformité des données personnelles fichées et identifier, éventuellement, les abus. Sous la pression de la révolution, il fallait pour l'Etat parer au plus urgent et aider les plus pauvres à subvenir à leurs premières nécessités. Aux 35 mille familles nécessiteuses recensées officiellement avant la révolution et aidées par l'Etat, deux cent mille autres familles seront ajoutées, dans la précipitation, puisées, en deux temps, dans les listes d'attente existantes. Un premier contingent de cent mille familles est ajouté sous le premier gouvernement de transition (de Mohamed Ghannouchi) et un deuxième sous le deuxième gouvernement de transition (de Béji Caïd Essebsi). Le fichier national du ministère des Affaires sociales compte désormais 235 mille familles nécessiteuses bénéficiant légalement d'aides sociales dont la prime mensuelle, qui passera à 100 dinars après la révolution, et la carte de soins à tarif réduit. Coût annuel des aides sociales : 300MD. Parallèlement, pour barrer la route à l'instrumentalisation politique, fortement contestée, du travail social et de la composante solidarité, les commissions d'octroi des aides perdent leur aspect politique et connaissent des changements radicaux. La présidence n'est plus assurée par le gouverneur et le délégué ne fait plus partie des membres de la commission. En échange, cette dernière est ouverte à la société civile, notamment à la participation de la Ligue tunisienne des droits de l'homme et des associations à vocation sociale. De même que deux nouveaux critères, jugés déterminants, sont introduits dans la liste des critères pris en compte dans l'octroi des aides sociales : le logement et le handicap lourd. Révision au cas par cas et probable affichage des noms des bénéficiaires Le vent de la révolution qui a soufflé sur la Tunisie n'a pas semé que des revendications sociales. Les Tunisiens, en perte de confiance en les institutions publiques, demandent aussi plus de justice sociale et surtout de transparence dans la gestion des affaires publiques. Pour le ministère des Affaires sociales, première administration concernée par l'épineux dossier des aides sociales, ainsi que ses partenaires, un travail de fond doit être fait : réviser la liste des bénéficiaires, au cas par cas, pour s'assurer que les aides vont aux personnes qui en ont le plus besoin et apporter les rectifications nécessaires quand elles s'imposent : «La situation sociale d'une famille n'est pas statique, elle peut changer, s'améliorer ou se détériorer, pour une raison ou pour une autre ; les services sociaux doivent avoir les moyens de le vérifier et de rectifier», explique M. Mohamed Zribi, directeur général de la promotion sociale. Pour ce faire, un grand chantier est sur le point d'être ouvert : aménagement d'un nouveau système informatique de stockage et de gestion des données personnelles au sein du ministère des Affaires sociales, mobilisation d'un nombre suffisant de conseillers sociaux chargés de mener les enquêtes sur terrain et qui vont désormais travailler sous serment ainsi que la révision de la liste des familles nécessiteuses et celle des familles qui bénéficient de la carte de soins à tarif réduit. Pour garantir à cette opération la transparence et l'efficience requises, le ministère des Affaires sociales envisage de procéder à l'affichage, au niveau national (gouvernorat), régional (délégation) et/ou local (imeda), des listes des familles bénéficiaires des aides sociales. Selon le directeur général de la promotion sociale, une requête pour consultation a été adressée au tribunal administratif afin de savoir si l'affichage des données personnelles ne porte pas atteinte au principe des droits de l'homme. Par ailleurs, cette révision va profiter au plus grand nombre de familles à revenus limités, si bien que le chiffre annoncé devrait atteindre 800 mille familles dont les 235 mille nécessiteuses sus-indiquées et 570 mille autres, déjà répertoriées, à revenus limités disposant d'une carte de soins à tarif réduit et sans couverture sociale. Une famille à revenus limités est celle dont les « ressources » sont au moins inférieures au Smig pour une famille comptant deux personnes, inférieures à une fois et demie le Smig pour une famille de 5 personnes et inférieures à 2 fois le Smig pour une famille de plus de 5 personnes. Des commissions de pilotage pour la réforme La réforme du programme des aides sociales, à laquelle M. Mohamed Zribi attribue une dimension morale dans la perspective d'une plus grande justice sociale, prendra au moins trois ans, selon le responsable. La première année, en même temps que la préparation du système informatique et la conception des logiciels adéquats, verra la mise en place d'une commission de pilotage nationale et de 24 commissions de pilotage régionales, chargées de concevoir la nouvelle méthodologie. La deuxième année sera consacrée à la révision de la liste des familles nécessiteuses et la troisième au réexamen des listes des familles à revenus limités. M. Mohamed Zribi explique que l'informatisation de cette opération permettra de faire les recoupements nécessaires à partir des différents fichiers des données personnelles existant dans les différents ministères et structures publiques (INS, CNSS, CNRPS...). Dans ces commissions, toutes les parties administratives concernées par le dossier social y seront représentées aux côtés de la présidence du gouvernement et du ministère des Affaires sociales, en l'occurrence les ministères et structures sous tutelle du développement, de l'intérieur, de la santé, des technologies de la communication, des finances et l'INS. Selon le directeur général de la promotion sociale, M. Mohamed Zribi, pour mener à bien cette réforme, le renforcement des moyens humains, matériels et logistiques est nécessaire. A ce titre, des recrutements d'agents sociaux sont déjà programmés pour 2012 et 2013. Le reste devra suivre dans un délai raisonnable pour que le projet puisse passer du stade de la rhétorique à celui du pragmatisme et pour que la confiance soit rétablie entre le citoyen et les institutions publiques. C'est cette confiance qui permettra aussi de lutter contre la mentalité «d'assisté», puisque chaque denier public suivra un circuit balisé et transparent.