Par Néjib OUERGHI Peut-on parler réellement d'acharnement médiatique contre la Tunisie ? Les informations véhiculées par des médias français (journaux et chaînes de télévision) sur l'activisme de groupes salafistes jihadistes ou l'existence de camps d'entraînement ne sont pas totalement dénuées de tout fondement. Aujourd'hui, la menace est réelle et les risques qu'encourt le pays, pour sa sécurité et sa stabilité, sont de plus en plus patents. Le communiqué officiel publié jeudi par le ministère de l'Intérieur sur l'arrestation d'une bande criminelle projetant l'enlèvement de deux juifs tunisiens est la traduction parfaite de cette nouvelle donne. La succession d'incidents depuis le 14 septembre dernier, date de l'attaque par des groupes salafistes de l'ambassade américaine à Tunis, et les images chocs diffusées par tous les médias en Tunisie sur l'agression, la veille de l'Aïd, du chef de la brigade de la sécurité publique du district de La Manouba et sur la nuit d'horreur qu'a connue la cité périphérique de Tunis, Douar Hicher, sont là pour témoigner de la spirale dans laquelle le pays pourrait s'engluer. En effet, la violence politique, entretenue par des groupes salafistes, ne cesse d'inquiéter le Tunisien qui n'a plus aucun repère, s'agissant notamment des questions de sécurité dans la cité. Chaque nouvel incident pose avec insistance la question lancinante de l'incapacité des pouvoirs publics à assurer l'ordre public et à faire respecter la loi. Certains ont même crié au laxisme, quand il s'agit de faire face à une violence qui provient des groupes qui agissent dans une quasi-impunité, ne reculent pas quant à user de l'intimidation et de la violence physique pour se substituer à l'Etat, censé pourtant être le seul à détenir le monopole de la violence légitime. Dès lors, face à l'activisme inquiétant de ces groupes, à la multiplication des agressions, aux menaces qui pèsent sur la sécurité et la stabilité du pays et à la peur qui commence à gagner les Tunisiens, doit-on s'étonner, outre mesure, de l'image écornée de la Tunisie à l'étranger, une image qui a été longtemps synonyme d'ouverture, de tolérance et de modernité ? L'acharnement de ces groupes à défier toute autorité et à changer l'ordre social est un phénomène qu'il faut prendre au sérieux. Si la peur et l'insécurité s'installent, il est tout à fait logique de voir apparaître des réactions de crainte chez les opérateurs économiques et de doute chez les professionnels du tourisme. Certes en matière de tourisme, les réalisations accomplies, jusque-là, sont jugées satisfaisantes, mais l'arbre ne saurait cacher la forêt. D'ores et déjà, les perspectives pour la saison 2013 sont considérées comme très incertaines et les réservations sur la Tunisie ont brusquement chuté. Au moment où se tiennent les plus grands salons et foires spécialisés en Europe, la Tunisie se présente comme une destination à risque et son image a subi un grand revers. Résultat : le secteur qui croule sous l'effet d'une crise endémique, de problèmes sociaux et de dettes faramineuses, risque de ne pas se relever de sitôt. Il en est de même pour l'investissement dans les autres secteurs d'activité où l'attentisme risque d'obérer davantage la machine économique et la peur pourrait donner un coup d'arrêt à un investissement extérieur de plus en plus rétif. Ce tableau, quelque peu alarmiste, est le reflet de la situation qui prévaut dans le pays. Il doit être perçu comme un cri de détresse pour sauver la maison Tunisie. Il est vrai que le navire est en train de subir quelques avaries mais il faut tout faire pour qu'il ne sombre pas. Un sursaut d'orgueil des Tunisiens, toutes appartenances politiques confondues, est à même de permettre de remonter la pente et de dépasser ce cap difficile. Une telle éventualité suppose un consensus sur un certain nombre de principes partagés. Il s'agit en l'occurrence de n'admettre aucune tolérance devant la transgression de certaines lignes rouges, s'agissant particulièrement de l'unité du pays, de sa stabilité, de sa sécurité et de son modèle de société. Elle suppose, également, le refus de tout laxisme dans l'application de la loi et dans la lutte contre la violence politique qui ne peut qu'enfoncer davantage le pays dans le chaos. Elle suppose, enfin, que les partis politiques transcendent leurs différences et leurs luttes idéologiques en se mettant au service de la Tunisie et des objectifs de sa révolution. Les principes de la liberté, de la dignité et de la démocratie ne peuvent être concrétisés que par l'union sacrée des Tunisiens, qui ont déjà perdu beaucoup de temps et d'opportunités dans des querelles interminables. Favoriser la transition démocratique de la Tunisie, enraciner les valeurs de citoyenneté, la culture des droits de l'Homme, de la liberté, promouvoir l'emploi, développer les régions intérieures, impulser l'investissement, combattre la pauvreté et l'exclusion ne sauraient être réalisés par de simples vœux pieux ou par la transformation de la Tunisie en un émirat islamique. Cet objectif requiert, en revanche, une prise de conscience profonde aiguë sur l'importance de susciter des convergences constructives, non l'incitation à la haine et à la destruction. Atteindre cet objectif par paliers successifs reste du domaine du possible. Les premiers pas seront décisifs, car ils donneront le ton et refléteront l'image que tout le monde souhaite qu'elle prenne forme. L'achèvement de l'élaboration de la nouvelle Constitution, la mise en place de l'instance supérieure indépendante des élections, de l'instance indépendante de la magistrature et l'activation des décrets 115 et 116, portant organisation du secteur des médias, constitueront le vrai test. De la volonté de toutes les formations politiques représentées à l'ANC et des composantes de la société civile d'avancer et de faire taire leurs divergences, dépendra l'amorce d'une réelle éclaircie qui ne ferait qu'accélérer et le processus de transition du pays et son développement.