De notre envoyée spéciale Samira DAMI C'est dans une ambiance tendue et d'extrême tension (fouilles méticuleuses des sacs, boissons et aliments confisqués, vidage de poches) que s'est déroulée le vendredi 21 mai la projection de Hors-la-loi de Rachid Bouchareb en lice dans la sélection officielle du 63e Festival international de Cannes. Le dernier opus du Franco-Algérien Bouchareb qui concourt sous la bannière algérienne a suscité depuis sa sélection, polémiques et controverses exacerbant les passions autour d'un des événements communs à l'histoire de l'Algérie et de la France, plus précisément les événements de Sétif du 8 mai 1945. Accusé de «falsifier l'histoire», d'être négationniste et «anti-français» par l'extrême droite française, un groupe de députés de la majorité, des associations de harkis, d'anciens combattants et de pieds-noirs, Bouchareb a appelé à «un débat dans la sérénité» au cours de la conférence de presse qui a suivi la projection du film. Mais il semble bien que les esprits ne seront pas calmés de si tôt puisqu'après la projection de Hors-la-loi, 1.200 manifestants entre anciens combattants et une vingtaine d'élus de la majorité (UMP) ont organisé une marche aux abords du palais du festival afin de rendre hommage aux «victimes françaises» de la guerre d'Algérie. Pourtant, chose étrange, tous les polémistes n'ont pas vu ce film qu'on découvre loin d'être manichéen, la pierre d'achoppement étant la représentation et la lecture de Bouchareb des événements du 8 mai 1945 à Sétif. Justement, Hors-la-loi s'ouvre sur cet événement historique : lors du défilé de la victoire des alliés sur le nazisme et les forces de l'Axe, des manifestants algériens réclamant pacifiquement l'indépendance, un jeune brandissant le drapeau algérien est tué par un commissaire. La manifestation tourne à l'émeute, des colons sont tués ainsi que des centaines d'Algériens. L'armée coloniale française vient alors en renfort et réprime l'agitation dans le sang, faisant des milliers de morts. Les chiffres étant eux aussi objet de polémique. Et l'émotion Or, les députés polémistes, dont le député UMP des Alpes - Maritimes, Lionel Luca, soutiennent qu'à «Sétif, il y a eu d'abord le massacre de Français et d'Algériens fidèles à la France». Ce à quoi Bouchareb répond : «Je ne suis pas un historien, mais j'ai fait une fiction avec ma sensibilité sans obliger quiconque à partager… On peut être en désaccord avec mon film, mais je souhaite que ce désaccord s'exprime dans la sérénité du débat d'idées». Mais maintenant, trêve de polémiques et de controverses suscitées par cet opus, depuis voilà trois semaines, et parlons de Hors-la loi en tant qu'œuvre artistique. Or, très vite, on s'aperçoit que cette suite d'Indigènes, récompensé ici même à Cannes en 2006, par un prix collectif de la meilleure interprétation masculine, est centrée sur la violence politique qui caractérise toutes les révolutions et toutes les guerres: trois frères chassés de leur terre algérienne se retrouvent à Paris avec leur mère. Les personnages sont des archétypes: Abdelkader (Sami Bouajila), qui manie aussi bien les concepts que les armes, prend la tête du FLN, mouvement de l'indépendance de l'Algérie, militant excessif et radical. Il en vient à perdre son humanité, submergé par la violence de l'action qu'il prône. Messaoud (Roshdy Zem) qui, malgré les marques physiques et morales de la guerre d'Indochine, à mi-chemin, joue «les pères», dégoûté par tout ce qu'il a subi en Indochine. Saïd (Djamel Debbouz), le plus jeune, hostile à la guerre et à la violence, prend une autre voie pour s'affirmer et gagner la considération de tous, le banditisme, mais il perd le cœur de sa mère qu'il cherche à reconquérir en se lançant dans le milieu de la boxe. La mère (Chafia Boudraâ) symbolise ces racines et cette terre auxquelles les trois frères s'accrochent dans les tourments et les déchirements de la guerre d'indépendance. Mais d'où vient que Hors- la-loi, qui se veut une fresque façon Il était une fois, la révolution de Sergio Leone, avec ses décors imposants, ses costumes d'époque, ses multiples scènes d'action, n'arrive pas, malgré tous les moyens, à amener cette touche finale d'une grosse production qui secrète l'émotion ? D'où vient cette froideur ? De la prééminence du propos sur la forme par trop léchée et conventionnelle ? De l'importance des moyens ? Car abondance peut nuire! Du jeu timoré des acteurs qui n'étaient pas aussi convaincants et harmonieux que dans Indigènes ? ou de tout ça à la fois ! Car comment expliquer que la scène où Messaoud se confie à sa mère afin de délester sa conscience du poids de la violence et de tous ces hommes qu'il a tués ou la maladie de la mère, ou encore la mort des deux frères ne soient pas de grands moments de cinéma ? A Hors-la-loi, il manquait certainement un brin de psychologie et d'épaisseur en personnages, une qualité de jeu des acteurs, des scènes d'action mieux amenées et donc un manque de dramaturgie afin de convaincre et de toucher davantage. Malgré toute cette polémique désignée par les historiens comme «la guerre des mémoires», Hors-la loi, une coproduction franco-algéro-tuniso-italo-belge de 20 millions d'euros (40 millions de dinars) aura permis d'interpeller une histoire et une mémoire communes. Cela afin «d'ouvrir le débat dans la sérénité pas dans un champ de bataille», comme l'a souligné Rachid Bouchareb.