Le chef du gouvernement se fait remplacer par ses ministres Les députés de l'opposition boycottent l'audition La posture est à la fermeté côté gouvernement, c'est l'impression qui se dégageait hier des travées de l'ANC. Quatre ministres étaient alignés en première rangée sous les feux de la rampe et des critiques pour défendre et justifier la politique du gouvernement et, en passant, la riposte des forces de l'ordre contre les protestataires de Siliana. Quatre ministres au lieu et place du chef du gouvernement Hamadi Jebali qui était attendu au palais du Bardo, mais, «pris par d'autres engagements et un déplacement à Djerba», n'avait pu répondre à l'invitation pourtant insistante des députés de l'opposition. Donc, ce sont Ali Laârayedh, Samir Dilou, Abderrazak Kilani et Hédi Ben Abbès, respectivement ministre de l'Intérieur, de la Justice transitionnelle, des Relations avec le gouvernement, et secrétaire d'Etat auprès du ministre des Affaires étrangères, qui ont pris sur eux de répondre aux interpellations des élus du peuple. Interpellations souvent virulentes qui se faisaient l'écho, disent-ils, de celles des habitants de Siliana. Elles se résumaient en trois points fondamentaux : le droit au développement régional, le départ du gouverneur et l'ouverture d'enquêtes visant les forces de l'ordre et les armes utilisées. «Au nom des revendications sociales, on appelle à la violence» Pendant ce temps et pour le quatrième jour consécutif, les affrontements se poursuivaient entre manifestants et policiers dans cette ville du centre, considérée parmi les plus pauvres du pays. Quant au palais du Bardo, l'ambiance était chauffée à l'intérieur par le soleil tapant sur les vitres et par l'humeur électrique de ses hôtes. La plupart des députés de l'opposition boycottant cette séance matinale avaient préféré répondre aux questions des journalistes. D'autres, un portable à la main, l'air affairé, visiblement en contact avec Siliana, donnaient l'information en live à qui voulait les entendre. Sous la coupole, Samir Dilou, le premier du staff ministériel à prendre la parole, a commencé par fustiger ce qu'il considère comme «de la récupération politique d'une cause juste, à savoir le développement régional», en ajoutant qu'il n'y a pas que Siliana qui soit pauvre. L'ensemble du pays et même les régions considérées comme opulentes le sont ; «allez visiter les zones rurales de Sousse, Sfax et Mahdia, ces régions du littoral et vous verrez...», invite-t-il. Le ministre, connu pour son éloquence, a mis en avant les réalisations du gouvernement, mais également les raisons objectives qui ont retardé la mise en place d'autres projets régionaux. Il a également épinglé au passage, la désinformation qui a pour but de «perturber l'opinion». En témoigne, cette rumeur selon laquelle 17 personnes auraient perdu la vue est totalement fausse. En réalité, corrige-t-il, ce sont 8 citoyens qui ont subi des opérations chirurgicales des yeux et toutes sont couronnées de succès. D'un autre côté, le ministre regrette que l'Etat soit accusé de la chose et son contraire. On ne peut, relève-t-il tonitruant, d'un côté exiger que le prestige de l'Etat soit préservé et la sécurité assurée, et de l'autre appeler au nom des revendications sociales à la violence, au pillage et au saccage, et ce, dans l'impunité totale. «L'Etat ne cédera pas au chantage» Hedi Ben Abbès a regretté pour sa part que cette instabilité écorne chaque jour un peu plus l'image de la Tunisie à l'étranger et fasse fuir les investisseurs et même les délégations officielles en visite chez nous. Le secrétaire d'Etat, dans sa brève allocution, a vertement critiqué les Tunisiens qui diffusent, regrette-t-il, une fausse image du pays et «font du tort à la fois à la Tunisie et à son peuple». Ali Laârayedh, dans une intervention très attendue, a rappelé qu'une réunion ministérielle s'est tenue le 5 septembre dernier sur Siliana. Cette ville n'est pas parmi les régions les plus pauvres, martèle-t-il. Le taux de chômage y est à 15%, en deçà de la moyenne nationale. Siliana est le troisième gouvernorat à avoir bénéficié de fonds nationaux, ajoute-t-il. Le ministre, sur un ton vif, presque emporté, a averti que toutes les revendications, qu'elles soient sociales ou politiques, peuvent se faire dans la sérénité et avec les moyens légaux, mais «le recours à la violence, à la manipulation de l'opinion ne peuvent conduire qu'aux affrontements». Le ministre a mis en avant le rôle des forces de l'ordre «qui ont obéi aux consignes et n'ont pas répondu aux multiples provocations», en ajoutant que le gouverneur de Siliana a été séquestré dans son bureau toute une journée et qu'il a fallu l'intervention du procureur de la République et de la police pour le protéger. On peut réclamer le départ d'un gouverneur, d'un responsable, mais pas de cette manière, martèle-t-il. Parallèlement, et tout en célébrant le rôle de la centrale syndicale, Ali Laârayedh n'a pas épargné «certains éléments syndicaux et des partis politiques» qui sont derrière l'escalade de la violence. Avant de conclure que l'Etat se doit de remplir sa mission et préserver son prestige, en assurant la sécurité des citoyens et protégeant les institutions publiques et privées. Le ministre a prévenu que l'Etat ne cédera pas au chantage. « Leur conception du pouvoir a bien changé » A l'extérieur de l'hémicycle, des négociations allaient bon train pour l'élaboration d'une motion de censure, « mais nous ne sommes pas sûrs qu'elle aboutisse, faute de signatures » avoue une source sous le couvert d'anonymat. Maya Jribi fait partie du groupe qui a boycotté la séance matinale pour protester contre le désistement du chef du gouvernement, déclare-t-elle à La Presse. Siliana mérite d'être placée dans ses priorités, ajoute-t-elle, et «je suis offusquée par les propos du chef du gouvernement qui s'étonne de la présence du président de la ligue ou encore de Iyed Dahmani, élu de la circonscription de Siliana, d'être sur les lieux». La constituante du parti coalisé Joumhouri regrette que toutes les accusations lancées à l'encontre de l'opposition et de l'Ugtt fassent écho à celles de Ben Ali. Les revendications de Siliana et partout d'ailleurs, analyse-t-elle, sont légitimes et en rapport avec celles de la révolution : équilibre régional, développement et emploi, et le départ du gouverneur, je ne pense pas que ce soit un crime, relève-t-elle. «Il y a un problème de compétence et de disposition au dialogue». Le gouvernement ne cherche pas l'apaisement, mais il fait, regrette-t-elle, une fuite en avant qui me rappelle encore une fois l'ère de Ben Ali. Dommage, conclut, amère, Mme Jeribi, leur conception du pouvoir a bien changé. Voilà les faits répétitifs malheureusement. Un mauvais scénario qui se déplace d'une région à une autre dans le pays avec ses corollaires, de rupture de dialogue, de perturbations sociales, sécuritaires, de blessés, parfois de morts. Jusqu'à quand ? Jusqu'à atteindre un point de non-retour ? On a beau imputer cette instabilité à la phase postrévolutionnaire que vit la Tunisie, mais entre instabilité gérable et désordre dangereux, il y a plusieurs lignes qui sont désormais franchies.