Préoccupant car il pose plus de questions qu'il n'en résout. Le soixantième anniversaire de l'assassinat, le 5 décembre 1952 près de Tunis, du martyr Farhat Hached, grand leader syndicaliste d'envergure internationale, nous surprend à plus d'un égard. Le dossier de l'affaire reste encore, hélas, laconique malgré la masse importante de documents et de témoignages qu'il renferme. Commandité, comme l'assurent plusieurs témoignages de première main concordants et de documents officiels, par l'Etat français qui occupait la Tunisie à l'époque et jusqu'en 1956, ce crime reste encore flou quant à ses auteurs qui appartenaient à l'organisation paramilitaire secrète colonialiste «La Main Rouge». Des procès ont pourtant été intentés, depuis une bonne dizaine d'années, en vue d'élucider cette énigme dont celui contre le dénommé Antoine Méléro, membre à l'époque de ladite organisation. Ce dernier a en effet déclaré dans un documentaire diffusé par la chaîne satellitaire «Al Jazira» le 18 décembre 2009 qu'il trouvait l'assassinat de Hached légitime et qu'il était prêt à le refaire si cela pouvait l'être («si c'était à refaire, je referais»). Déposée à Paris le 17 mars 2010, la plainte tunisienne contre l'ancien terroriste connaît jusqu'à aujourd'hui des rebondissements sur fond de vice de... forme. L'affaire devait être placée entre les mains de la Cour européenne des droits de l'Homme (voir journal Ach-chaâb, organe de l'Ugtt du 25 août 2012. Dans un dossier sur Hached publié le 1er décembre dernier, le journal ne pipe mot sur le devenir de cette plainte). Cette quasi-impuissance à secouer l'affaire et à faire avancer la reconstitution dans les détails de l'assassinat en question ne doit pas perdurer même si la France rechigne à coopérer pour que la vérité éclate au grand jour. Interrogé sur les nouvelles donnes du dossier suite aux déclarations de Méléro, Frédéric Mitterrand, alors ministre français de la Culture et de la Communication, et se présentant comme grand ami de la Tunisie, répondit qu'il s'agissait là d'une affaire tuniso-tunisienne. Une contre-vérité flagrante puisque l'assassinat de Farhat Hached a été l'œuvre de la France, puissance coloniale, et ce crime est bel et bien un crime de guerre. L'ensemble du peuple tunisien est donc interpellé aujourd'hui plus que jamais par cette agression meurtrière restée impunie comme tant d'autres à l'instar du massacre de Bizerte (19-21 juillet 1961). Il doit demander par tous les moyens l'accès aux archives françaises, le rétablissement de la vérité et la traduction des criminels devant la justice internationale. Le fils du martyr, M. Noureddine Hached, a, d'ailleurs, réclamé cette position à maintes reprises. Nous sommes donc tous appelés à déléguer officiellement cette requête à l'Etat et ne pas se contenter des démarches entreprises par la famille du martyr et l'Ugtt, la centrale syndicale que le leader avait fondée en 1946, fussent-elles indispensables. Et surtout de ne pas négliger les aspects inhérents à la forme afin de ne pas avoir encore une fois la mauvaise surprise du rejet de la requête pour vice de forme. Il s'agit de mettre la pression sur l'Etat français afin qu'il ait le courage d'accepter le triomphe de la vérité. Espérons que l'appel de Hached que devait lancer l'Ugtt dans ce sens contribuera efficacement à la réalisation de cet objectif. Triste première tombe Nous sommes appelés aussi à mettre en valeur la mémoire du grand martyr. Réimprimer ses écrits et ses discours et les diffuser à large échelle. Rediffuser régulièrement le documentaire qui retrace l'essentiel des événements de l'acte perfide. Film qui a été diffusé en première mondiale le 10 janvier 2003 tà Tunis (réalisé par Nejib Gouiaâ et co-produit avec Ahmed Bahaeddine Attia). Créer le musée du «martyr Hached» au sein de son mausolée situé à la Kasbah, à Tunis, et l'ouvrir au public au lieu de le laisser fermé toute l'année et ne l'ouvrir que le temps de la commémoration du martyre de son locataire, le 5 décembre de chaque année. Réaménager sa maison natale au village d'Al Abbassiya à Kerkennah, ainsi que sa première tombe, et transformer l'ensemble en un musée de la vie personnelle du martyr avant son engagement, d'ailleurs précoce, dans l'action syndicale et le mouvement national. Cela fait mal au cœur de constater que ces lieux tombent en ruine et surtout dans un anonymat révoltant. Lors d'une récente visite de ce site en marge d'une tournée d'étude organisée mi-octobre par l'Association tunisienne du développement touristique, nous avons pu établir ce triste constat qui n'honore aucunement la Tunisie et ses enfants. Mais il n'est jamais trop tard. Rappelons que Hached a été inhumé près de sa maison familiale le 7 décembre 1952 sous haute surveillance de l'armée française et que sa dépouille a été ramenée à Tunis le 4 décembre 1955. Plusieurs témoins de l'exhumation, dont le syndicaliste Abdelaziz Bouraoui (consulter son témoignage à la tribune de la Fondation Temimi en mars 2007) restent jusqu'à aujourd'hui subjugués par l'état intact de la dépouille et la blancheur du linceul.