On savait Abbes Mohsen excellent conteur et remarquable observateur. Les portraits de ceux qui l'ont entouré durant quarante ans, de ceux qui ont accompagné ou entravé son parcours, sont dignes d'un La bruyère, ou d'un La Fontaine. Le livre que Abbes Mohsen, grand commis de l'Etat, consacre à ses « mémoires désabusés », et qu'il présentait récemment à la librairie Culturel, se lit avec gourmandise. Rares sont les auteurs qui savent allier, avec autant d'esprit, érudition et autodérision, sens de l'analyse et humour décalé. Rien n'est plus sérieux que cet ouvrage; rien n'est plus drôle aussi. Le lecteur, comme moi et autour de moi, se surprendra, à plusieurs reprises, à rire aux éclats du rendu d'une scène cocasse, d'une expression ravageuse, d'une comparaison irrésistible. On savait Abbes Mohsen excellent conteur et remarquable observateur. Les portraits de ceux qui l'ont entouré durant quarante ans, de ceux qui ont accompagné ou entravé son parcours, sont dignes d'un La Bruyère, ou d'un La Fontaine. Dédramatisant le pire, glissant avec élégance et sans amertume — du moins, visible — sur les vicissitudes endurées, ce grand commis de l'Etat fait sienne le devise « Never complain », (ne jamais se plaindre), tout en décidant, tout de même d'expliquer. En témoin privilégié, il raconte, dans un style, et avec une culture rares, qui ne surprendront que ceux qui ne le connaissent pas, quarante années vécues dans les coulisses, mais aussi dans les arcanes d'un pouvoir capricieux, auquel il essaya, toujours avec rigueur, discipline et honnêteté, de répondre sans se déjuger. Quitte à payer, à plusieurs reprises, les conséquences d' « une échine qui manquait de souplesse», comme il dit. Sa carrière lui a permis de travailler dans la Tunisie profonde, aux portes du palais de Carthage, mais aussi dans nos chancelleries, aux extrémités du monde. Cela lui confère un regard panoramique, plus facile à ajuster aux réalités du pays, et plus acéré aussi. La lorgnette, pour lui, n'a pas de petit ou de grand bout, elle est juste. Il raconte donc, avec le courage d'aller à contre-courant de l'air du temps, le bon et le mauvais de chaque époque, et nous rappelle, si besoin en est, que tout n'est pas noir ou blanc, surtout en politique. Servir est, donc, son maître mot et sa culture. Abbès Mohsen l'a fait avec élégance et...difficulté.