Quand le peuple tunisien inaugure une vague contestataire ayant balayé des dictatures et participé à la réalisation de profondes réformes dans plusieurs pays du monde Il a ouvert la voie, montré le chemin à d'autres peuples, livré le mode d'emploi même et surtout que le supposé impossible était possible et même accessible. «Quand le peuple décide de vivre... force est au destin de se plier à sa volonté». Ce vers de Chabbi a de nouveau repris son sens profond, grâce au peuple tunisien qui a offert tout cela aux peuples frères et amis, mais aussi et surtout participé à créer début 2011 un effet domino des plus spectaculaires dans le monde contre des dictatures que l'on croyait indéboulonnables. Sans vrai leadership, à part sa référence aux nobles valeurs de liberté, de justice et de dignité, mais avec une réelle obstination, le peuple tunisien a pu tenir tête aux derniers soubresauts d'une dictature sournoise et violente, lançant à sa figure un «Dégage !» tonitruant et méprisant qui sera repris un peu partout dans le monde comme un sésame. Ainsi et à partir du 14 janvier 2011, un système policier et mafieux s'est écroulé dans ce petit pays de par ses dimensions, grand par son histoire qui a donné son ancien nom à tout le continent. Le départ du dictateur et l'impulsion de son appareil d'oppression politique et idéologique qu'était le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD-sic !), soit moins d'un mois après le déclenchement de l'insurrection populaire, ont montré combien cette obstination était gratifiante et comment elle pouvait acculer le despote à de plus en plus de concessions jusqu'à sa perte. Un triomphe qui a participé d'une façon décisive à d'autres processus révolutionnaires ou à de profondes réformes dans la majeure partie du monde arabe. Egypte, Yémen, Libye, Syrie, mais aussi Jordanie, Algérie, Maroc, Mauritanie, Oman, Bahreïn, etc. donnant ainsi naissance à ce que l'on appelle «le Printemps arabe». Plusieurs régimes sont tombés ou sont sur le point de l'être, d'autres ont profondément reformé leurs institutions et leurs pratiques pour plus de liberté et de démocratie. Au cours de cette même année 2011 et dans cet élan devenu légendaire, plusieurs mouvements populaires de contestation ont éclaté un peu partout dans le monde. En Espagne, en Grèce, en Russie, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, etc. Et même dans l'Etat sioniste, pour la première fois dans sa brève histoire. Mais le scénario tunisien qui a très bien fonctionné en Egypte va donner à réfléchir à d'autres dictateurs qui choisiront d'aller jusqu'au bout, jouant ainsi à quitte ou double : mater la révolution ou négocier un statut leur conférant une impunité totale, c'est le cas du Libyen Kadhafi qui a choisi la confrontation et le langage des armes et qui a fini par être tué le 20 octobre 2011 après huit mois de guerre civile... C'était aussi le cas du Yéménite Ali Abdallah Salah qui a fini par s'offrir le statut d'ex-président jouissant d'une totale immunité judiciaire (le 23 novembre 2011) après 33 ans de règne. Quant à Bachar, il continue depuis le 15 mars 2011 à massacrer le peuple syrien tout en s'agrippant au pouvoir malgré son isolement quasi planétaire. C'est tout l'appareil oppressif sécuritaire et idéologique du parti Baâth qui essaye de sauver sa peau malgré les multiples défections des proches collaborateurs. La voix du Caire Egypte, Yémen, Libye et Syrie ont donc emboîté le pas à la Tunisie et ont tour à tour entamé le processus devant conduire à la chute de dictatures vieilles de plusieurs décennies. Les trois premiers pays se trouvent aujourd'hui en pleine période de transition démocratique, tout comme la Tunisie. Le quatrième, lui, sombre dans une guerre civile qui a déjà coûté la vie à plus de 60.000 personnes, dont plus de 50.000 en 2012. C'est le peuple égyptien, usé par le poids et l'ampleur de la dictature mafieuse et népotique de Moubarak au pouvoir depuis 1981, qui se décida le 25 janvier 2011 de passer à l'acte. Manifestations monstres au Caire, surtout, et des sit-in sans fin commencèrent par ébranler le régime qui essaya par tous les moyens d'arrêter ce processus à la tunisienne. S'ensuivirent des confrontations sanglantes avec les forces de l'ordre et l'intervention musclée des milices fidèles au régime. Cela ne fera pas plier les dizaines de milliers de manifestants qui se ressemblaient surtout à la place Tahrir où s'érigent le complexe administratif et le siège de la Ligue des Etats arabes. La colère gagnera d'autres villes et les insurgés s'attaquèrent aux symboles du pouvoir. Répression et tentatives de museler les médias surtout satellitaires et populaires en réseau ne purent sauver le régime qui vit la colère devenir de plus en plus grande et de plus en plus médiatisée. Même le couvre-feu décrété le 28 janvier est ignoré par le peuple dont la colère est attisée par la mort en martyrs de dizaines d'Egyptiens (leur nombre atteindra 365 à la chute du tyran). Le 1er février, un peu plus de deux millions de manifestants déferlent sur la place Tahrir. Un million à Alexandrie. D'autres villes ont été elles aussi le théâtre de manifestations monstres. Une seule revendication exprimée haut et fort : le départ de Moubarak. Il suffira de 10 jours pour que le vœu du peuple soit exaucé. Devant l'obstination des Egyptiens et leur volonté d'en finir avec le régime, ce dernier n'a trouvé aucune issue sauf celle de l'abdication. Le 11 février, le vice-président de la République annoncera dans une allocution éclair que Moubarak renonce à son poste avec transfert des pouvoirs à l'armée. S'ouvrira alors une nouvelle ère pour le peuple égyptien avec des élections législatives (à partir du 28 novembre 2011), des élections présidentielles à deux tours (le 24 juin verra la victoire de Mohamed Morsi) et une nouvelle Constitution adoptée par référendum (à partir du 15 décembre 2012). Mais tout n'a pas été rose depuis le 11 février, le peuple poursuivra sa lutte contre la dictature, l'oppression, les opportunistes... Comme leurs frères les Tunisiens, les Egyptiens ont continué à se battre pour une Egypte émancipée, favorisant les libertés, la justice et le progrès et ils semblent décidés à faire aboutir le processus révolutionnaire. Et le Yémen redevient «heureux» Souffrant de troubles chroniques et aux prises avec les rebelles zaidites du mouvement d'Al Houthi d'une part et avec ceux appartenant à Al Qaïda de l'autre, le Yémen a lui aussi vécu un processus ayant abouti à la mise à l'écart de son président Ali Abdallah Salah le 23 novembre 2011 après près de 33 ans de dictature népotique. C'est le 27 janvier 2011 que commencent les manifestations réclamant le départ de Salah qui ne partira effectivement que le 25 février 2012. Tout le peuple ou presque, surtout les jeunes, qui sont majoritaires, se mobilise afin d'atteindre cet objectif tout en observant le caractère pacifique de la révolte. Salah plie mais ne cède pas et propose des réformes et même son départ à condition bien sûr de bénéficier de l'immunité judiciaire totale. Ce que le peuple ainsi que les partis de l'opposition refusent. C'est la manifestation du 18 mars réprimée dans le sang et qui a coûté la vie à des dizaines de manifestants qui viendra renforcer la révolte avec notamment la défection de plusieurs responsables qui rejoindront l'opposition. La médiation du Conseil de coopération des pays du Golfe (CCG) à partir d'avril 2011 se transformera en un feuilleton à suspense avec acceptation et revirements successifs de la part de Salah qui essayera de gagner du temps et surtout de brouiller ses opposants. Ce n'est qu'après avoir été victime d'un attentat qui aurait pu lui coûter la vie, le 3 juin à Sanaâ, que Salah commence à se résigner à l'idée de céder le pouvoir. Chose qui deviendra effective le 25 février 2012 après l'élection présidentielle du 21 du mois qui verra l'accession du vice-président Abd Rabbou Mansour Hédi à la magistrature suprême. Nouvelle révolution contre la vieille Du 17 février au 20 octobre 2011, la Libye a vécu avec un seul objectif : se défaire du carcan du «guide de la Révolution du 1er septembre» qui gouvernait le pays d'une main de fer depuis ce fameux 1er septembre de l'année 1969. Les manifestations débutèrent à Benghazi (à 1.000 km de la capitale, Tripoli, vers l'Est). Rapidement, les contestations s'amplifièrent. Kadhafi sévit durement en employant l'artillerie lourde et l'aviation. L'insurrection prit alors le visage d'une révolte armée pour la libération du pays. Des villes commencèrent à tomber entre les mains des «thouwar» (rebelles). A Tripoli, les manifestations se multiplièrent et l'oppression kadhafiste se fit encore plus violente. Le 26 janvier, se formera un Conseil national de transition avec à sa tête Mustapha Abdeljelil, ex-ministre de la Justice du «Guide» qui, dès les premiers jours de la révolution, choisit son camp. Quelques jours plus tard, les forces loyalistes inverseront les positions et reprendront l'initiative sur le terrain. Les villes rebelles sont ainsi menacées de bain de sang. Des milliers de Libyens quitteront le pays pour se réfugier dans les pays voisins. Le 17 mars 2011, le Conseil de sécurité de l'ONU vote une résolution qui permet aux forces occidentales de recourir à des frappes aériennes visant «la protection des populations civiles». A partir de cette date-là, c'est la guerre civile proprement dite. Elle ne prendra fin que le 20 octobre 2011 avec la mort de Kadhafi près de Syrte, sa ville natale, tué à bout portant par des rebelles. Le 23 octobre, la libération du pays est proclamée. Place à partir de ce jour-là au processus de transition. Des élections démocratiques eurent lieu le 7 juillet 2012, les premières du genre dans le pays et aboutirent à la mise sur pied d'une Constituante qui portera le nom de «Congrès général national». Celle-ci entama son action le 8 août 2012. Libérée de la dictature, la Libye est encore exposée à la violence et à l'instabilité et doit tout reconstruire.