Tout ce qui se passait derrière les barreaux, aux temps révolus de la dictature, était entouré du plus grand secret, à l'abri même des défenseurs des droits de l'Homme, à l'intérieur comme à l'extérieur du pays. Personne ne connaissait, dans ses détails, la vie carcérale qu'avaient péniblement menée les détenus face aux exactions atroces de leurs tortionnaires. Mais qu'en est-il de la situation de la frange la plus fragile, longtemps confinée sous la chape de plomb de nos prisons ? Certes, les conditions d'emprisonnement que continuent à subir, aujourd'hui, les femmes et les enfants détenus restent précaires et inhumaines. C'est en tout cas ainsi que les ont jugées les participants à l'atelier ayant démarré hier matin à Tunis, sur le thème « Situation des catégories vulnérables dans les prisons ». Les travaux, qui se poursuivront jusqu'à demain, devraient déboucher sur une série de recommandations. La manifestation, organisée conjointement par le ministère de la Justice, l'ambassade britannique à Tunis et l'Organisation tunisienne de la réforme pénale et sécuritaire, se veut, en fait, un arrêt sur image concernant les traitements physiques et moraux dont est victime cette population défavorisée... Population qui n'a jamais trouvé la possibilité de révéler l'aberration et l'extravagance des comportements de ses bourreaux. Même les rarissimes visites d'inspection, effectuées autrefois sous le sceau de la confidentialité par certaines instances internationales des droits de l'Homme, n'avaient servi qu'à jeter de la poudre aux yeux et prolonger, de la sorte, la loi du silence autour d'une réalité pénitentiaire aussi triste que critique. Aujourd'hui, avec le processus révolutionnaire, les appels à la réforme judiciaire et institutionnelle résonnent comme un cri d'alarme adressé de partout pour retenir les enseignements susceptibles d'instaurer dans le milieu carcéral les valeurs les plus élémentaires des droits de l'Homme. Toutefois, une telle approche humaniste et solidaire ne saurait aboutir si les agents pénitentiaires n'arrivent pas à changer de mentalité et si la manière de traiter les détenus reste la même, surtout en ce qui concerne les plus vulnérables d'entre eux. Il s'agit en particulier des femmes, dont le nombre, d'après M. Mustapha Yahyaoui, chargé de mission auprès du ministre de la Justice, avoisine 400, sur un total de quelque 22 mille prisonniers répartis dans une trentaine de prisons en Tunisie. Qu'entend-on par catégorie vulnérable ? M. Yahyaoui explique que l'expression renvoie à tout détenu hypersensible à la maltraitance et aux comportements agressifs, comme les enfants (300 environ), les femmes, les adolescents, les malades et tous les détenus étant encore en garde à vue. Selon lui, cette frange à besoin spécifique s'est plus souvent retrouvée dans l'incapacité de se défendre ou de se plaindre. C'est la raison pour laquelle cet atelier a été organisé. Il s'agit de se pencher sur le problème de la sensibilisation des cadres et agents des services pénitentiaires quant au respect des détenus, quant à l'obligation de les traiter en tant qu'êtres humains ayant leur plein droit de vivre dignement et de bénéficier de toutes les garanties d'un traitement conforme aux normes internationales. L'intervenant ajoute que le renforcement des acquis et compétences professionnelles des agents serait également de mise pour humaniser davantage leur rapport avec la population carcérale. Faute de quoi l'on ne peut guère réussir la réinsertion sociale. Et M. Yahyaoui d'annoncer, par la même occasion, qu'un nouveau pavillon propre à la mère nourricière sera bientôt ouvert à la prison civile de La Manouba. De son côté, M. Amor Tounakti, président de l'Organisation tunisienne de la réforme pénale et sécuritaire, n'y va pas par quatre chemins pour dénoncer la dure situation carcérale que subit cette catégorie vulnérable de prisonniers. Pour lui, cette situation est très misérable et catastrophique, d'autant plus que l'établissement pénitentiaire a toujours été un véritable camp retranché, où règnent la détresse et les épidémies, ne produisant que délinquance et criminalité. Et de marteler qu'il n'est plus tolérable de voir les détenus être constamment exposés à toutes les formes de l'humiliation et du harcèlement. La société civile est investie d'un rôle de premier plan dans la dissuasion des mauvais traitements à l'égard des prisonniers et l'ancrage des valeurs humanistes auprès des agents des prisons. Sans pour autant oublier, ici, l'apport des médias : c'est ce que recommande Mme Farida Ben Alaya, conseillère-directrice des affaires pénales à la direction générale des prisons, qui insiste sur la nécessité de prêter main-forte aux détenus les plus sensibles afin de leur garantir une réhabilitation adéquate et plus conforme aux standards, dans le but de faciliter, par la suite, leur réintégration sociale et professionnelle. L'agent pénitentiaire, lui aussi, devrait bénéficier des formations continues requises, conclut-elle. Autant de suggestions et de propositions sur lesquelles est d'accord son collègue Mohamed Hafedh Bechedhly, directeur de la correction et de la réhabilitation relevant de la même direction. Pour lui, il n'est pas question d'engager une réforme quelconque sans passer par l'amélioration des conditions de travail des agents pénitentiaires.