Du choc carcéral à la crise d'insertion sociale, tout un système pénitentiaire est à revoir. Derrière les barreaux, tout se passe dans l'opacité totale. La situation en dit long sur tous les plans et la vie des détenus manque d'espoir et de dignité humaine, alors que l'administration de tutelle n'hésite point à classer ce dossier top secret que personne n'a le droit de révéler. Il s'agit d'un triste tableau illustrant la réalité des prisons tunisiennes. Ce chantier doit être engagé de fond en comble. C'est là l'essence des recommandations sur lesquelles ont débouché les travaux de la conférence internationale, tenue récemment au siège du ministère des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle au Bardo, sur le thème : «Le système pénitentiaire tunisien : réalité et perspectives». La manifestation a été organisée à l'initiative du ministère de la Justice, avec le concours de plusieurs autres organisations et départements étrangers. Deux jours durant, décideurs politiques, responsables du domaine et spécialistes de renommée se sont penchés sur les moyens de faire de nos prisons un véritable milieu de rééducation, loin des pratiques excessivement répressives qui n'ont fait que générer des sentiments de frustration et nourrir les tentatives de suicide. D'où l'impératif de favoriser des conditions carcérales, le moins que l'on puisse dire, conformes aux standards internationaux. Et combien de fois de hautes instances des droits de l'Homme ont été empêchées de se rendre aux prisons tunisiennes, et de détenus qui ont péri sous les bottes de leurs tortionnaires. Comme ce fut le cas bien reconnu des salafistes ayant décédé dans leur cellule d'enfermement suite à une grève de la faim dite sauvage. Sans pour autant perdre de vue ce que pourrait entraîner un tel état de frustration et d'isolement pénible. Au fil des années de braise, autant de rapports avaient présenté les prisons tunisiennes en tant que camps de détresse humaine et de référence en termes d'indignité, de torture et de privation des règles les plus élémentaires des droits de l'Homme. Aucun signe révélateur d'encadrement psychique et de réhabilitation dans la prespective de la mise en liberté. D'où les multiples cas de récidive. Dans son rapport de 1999, le Conseil national pour les libertés en Tunisie (Cnlt), actuellement sous la présidence de Mme Sihem Ben Sedrine qui est, elle-même, partie prenante dans cette manifestation, a accusé l'institution carcérale d'avoir failli à sa fonction rééducative pour être une «école de délinquance et de criminalité». D'ailleurs, tous les participants à ladite conférence semblent être unanimes : la réforme de l'établissement pénitentiaire est irréversible. Cela fait partie du plan stratégique 2012- 2016 que le ministre de la Justice, M. Noureddine Bhiri, a déjà annoncé, il y a de cela quelques semaines, pour renforcer l'arsenal juridique et changer la perception portée à l'égard de nos prisons. Des peines alternatives Six ateliers de travail ont été animés pour formuler les principales recommandations qu'avaient avancées les participants. Ils ont pointé du doigt la surpopulation carcérale en Tunisie qui, en dépit d'une superficie assez réduite, abrite près de 22 mille détenus, dont quelque 10 mille jugés et 11 mille encore en garde à vue. Le taux de surpeuplement s'élève, selon eux, à plus de 117%, soit 185 prisonniers par 100 mille habitants. Ce qui commande la construction des nouvelles unités carcérales pour assurer aux prisonniers des conditions des plus favorables. Il en est de même pour la restructuration des prisons et l'amélioration de l'infrastructure pénitentiaire. Le remplacement de l'emprisonnement par d'autres amendes ou peines de travaux d'intérêt général s'avère comme autant d'alternatives qui pourraient résoudre l'encombrement carcéral. A cet effet, il est absolument impératif de renforcer et d'élargir les prérogatives du juge d'exécution des peines. Il est également question de réviser le système de recrutement et de formation des cadres et agents pénitentiaires, en tant que condition préalable à l'amélioration de leur rapport avec les détenus. Autre recommandation, et non des moindres, a trait à la santé carcérale qui fait aujourd'hui l'objet de critique des plus virulentes. C'est que 300 détenus pourraient être placés dans une seule cellule d'enfermement. Nul doute que le surpeuplement nuit à la santé et à l'hygiène et favorise la transmission d'autres maladies épidémiques. Une telle situation ne serait plus en mesure de permettre la réhabilitation, et encore moins de préparer la mise en liberté. Dans ce contexte, les participants ont préconisé la révision du statut du juge d'exécution des peines et l'incitation des entreprises à apporter aux détenus tout l'appui nécessaire pour réussir leur intégration professionnelle. Aussi, serait-il possible de supprimer du casier judiciaire tout signe révélateur de détention ? Le geste pourrait être salutaire, l'ultime but étant de prévenir une éventuelle récidive et de changer le regard vis-à-vis du détenu. Dans son allocution de clôture, M. Samir Dilou, ministre des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle a révélé que l'une des plaies saignantes de la société est la situation dans laquelle sombrent nos prisons. Un des maux auquel on n'arrive pas à remédier, tout comme la torture et la falsification des élections au fil des temps. Une souffrance à plusieurs facettes, a-t-il déploré. Rappelant les mauvais traitements et les peines cruelles et humiliantes dont certains de nos gouvernants faisaient l'objet et dont ils se souviennent encore, le ministre a indiqué que l'élite politique ne sait plus ce qui se déroule derrière les verrous. Les répercussions carcérales dépassent le détenu pour toucher gravement sa famille, son entourage et la société toute entière. Que cette volonté de réforme ne soit pas réprimée et que ces recommandations ouvertement déclarées ne soient pas emprisonnées dans les tiroirs des bureaux.