«Le mal : valeur et discours», tel est le thème d'un colloque international organisé par l'Unité de recherche «langue, discours, société» (Urlds) de la faculté des Lettres et des Sciences humaines (université de Kairouan) et dont les travaux ont été ouverts par le Pr Ahmed Omrane, recteur de l'université de Kairouan. Le programme de cette manifestation scientifique, qui s'est étalée du 20 au 22 février, a comporté 8 séances plénières animées par d'éminents chercheurs et universitaires du Maroc, du Canada, de Tunisie, d'Algérie et de France qui ont enrichi par leurs communications et leur savoir ce colloque, et ce, en dépit de la période de turbulences que traverse notre pays. Notons que le thème a été proposé par un jeune chercheur, Walid Mbarek, et que le comité d'organisation, composé des professeurs Nader Hammami, Wissem Kéfi, Sahbi Chafra et Saber Souissi, a été très dynamique au niveau de l'accueil des invités et à celui de leur conviction que les travaux de l'Urlds s'inscrivent dans la zone d'intersection du linguistique, du discursif et du social et que cette unité favorise des recherches sur les approches de différents discours (littérature, publicité, textes religieux, articles de journaux, discours politique, textes historiques, etc.) et les méthodes d'analyse appropriées aux productions verbales et non verbales. «Homme, ne cherche plus l'auteur du mal, cet auteur, c'est toi-même.» Rousseau Le Pr Arbi Dhifaoui, doyen de la faculté des Lettres et des Sciences humaines de Kairouan et directeur de l'Urlds, nous explique que la pièce maîtresse de la version française de l'argumentaire de ce colloque est un extrait de l'ouvrage de Rousseau Emile ou de l'Education (1762) dont voici deux passages : «C'est l'abus de nos facultés qui nous rend malheureux et méchants. Nos chagrins, nos soucis, nos peines, nous viennent de nous. Le mal moral est incontestablement notre ouvrage et le mal physique ne serait rien sans nos vices, qui nous l'on rendu sensible... ...Homme, ne cherche plus l'auteur du mal; cet auteur c'est toi-même. Il n'existe point d'autre mal que celui que tu fais ou que tu souffres et l'un et l'autre te viennent de toi...». Le texte du citoyen de Genève, ajoute Arbi Dhifaoui, est pour nous cet espace discursif et programmatique qui orientera et encadrera la quasi-totalité des interventions programmées, qui tenteront d'apporter quelques éléments de réponse aux questions suivantes : c'est quoi le mal? Peut-on le définir? Est-il intelligible? Est-il possible de parler d'une «géographie du mal?». Peut-on admettre qu'il existe «une historicité du mal?» Comment le mal se dit-il? Peut-on écrire le mal? Le mal a-t-il un discours propre à lui?». Témoignages Au total, 19 communications suivies de débat ont été présentées au cours de ce colloque scientifique. Nous en avons profité pour recueillir les impressions de trois participants : Un colloque pluridisciplinaire Mme Violène Anger, maître de conférences à l'Université d'Evry Val d'Essonne, a présenté une communication intitulée : «Le mal et communication des saints: les ambiguïtés de Bernanos et Poulenc». Elle estime que le mal est une question à laquelle on se confronte tous les jours depuis le début de l'humanité, mais peut-être, aujourd'hui, de façon encore plus particulière : «Le mal est partout, mais il faut prendre le temps de comprendre quelles sont les différentes approches du mal et puis surtout prendre le temps de le faire de la façon dont on le fait ici dans ce colloque, c'est-à-dire d'une façon pluridisciplinaire, très largement pluriculturelle, qui mélange les approches arabophones et francophones. C'est ça pour moi qui fait l'intérêt de cette manifestation de haut niveau et j'espère bien que des choses vont en sortir, c'est-à-dire que, d'un côté, le mal est une question qu'on ne peut éviter et, de l'autre, il va être traité d'une façon pluridisciplinaire, ce qu'on n'a pas généralement dans les autres colloques...» Un thème pertinent Pour le Dr Skander Kamel, spécialiste en littérature moderne et contemporaine à la faculté des Lettres et Sciences humaines de Sfax, le thème de ce colloque est pertinent et intéressant, surtout dans les conditions actuelles que la Tunisie est en train de vivre : «Il peut être relié facilement à la situation éprouvante de la période post-révolutionnaire. Ça c'est certain, mais il y a aussi les attentes dans les domaines de recherche qui s'imposent, et moi, de par ma spécialité, je veux bien que ce soit centré sur une poétique de l'écriture. Bien sûr, il y a toute une thématique du mal, ses dérivés, ses manifestations, à commencer par le haut-mal (qui est la mort, ou bien l'épilepsie, les blessures, le sang...). Et j'espère bien qu'on va parler de cette notion en évoquant Baudelaire par exemple. Pour moi, ce serait très intéressant si on s'intéressait à son écriture car le mal comme thème, c'est prévisible, on peut facilement l'étudier. Mais en tant qu'écriture, c'est un domaine qui demande un approfondissement souhaitable. C'est, d'ailleurs, la chose à laquelle je m'attends...». Que la littérature et la poésie soient les remèdes à nos maux Mme Wafa Drissi, assistante à la faculté des Sciences humaines et sociales de Tunis, est très heureuse d'avoir été invitée à ce colloque international, surtout en cette période très critique de notre histoire : «J'espère que les différentes approches de la notion du mal qui est indissociable de tout être humain nous aideront à mieux gérer les problèmes de la société et à éviter ainsi les dérapages provoqués par les messages de haine et d'intolérance, que la littérature et la poésie soient les remèdes à nos maux...»