Contrairement à ce que l'on croyait, la révolution du 14 janvier n'a fait qu'approfondir les plaies de la société et accroître sa pauvreté. Là où on se déplace, il y a des hommes et des femmes qui souffrent. Et les chiffres de l'Institut national de la statistique (INS) sont précis et plus éloquents: presque le quart de la population tunisienne vit sous le seuil de pauvreté. Un des milliers des cas sociaux dépourvus des moindres conditions de vie décente, Ali Ben Massoud Bohri, sexagénaire, sombre, depuis bien des années, dans la précarité totale, sans vivres ni couvert. Il habite dans la localité de Bougarnouna, à Zaga. Une zone d'ombre située sur les collines montagneuses de Nefza, à Béja. Aujourd'hui, il lance un cri de détresse ! Père d'une famille nombreuse dont quatre jeunes handicapés, il n'arrive pas à joindre les deux bouts. Il ne peut plus supporter les charges du quotidien. Sa vieille maison, perchée sur des falaises escarpées, menace ruine. Les inondations désastreuses d'un certain hiver 2008, qui avaient plongé toute la région dans l'isolement, étaient ressenties comme un coup fatal. Et depuis, son logis est devenu invivable. Il demeure tout juste un abri. Au premier regard, l'on ne voit que des murs humides et délabrés, des toits imprégnés d'eau et un sol, en grande partie, crevassé. Les lézardes sont visiblement profondes. Il n'en reste qu'un semblant de vestige sur le point de s'écrouler à tout moment. «Il y a quatre mois que des experts sont venus pour nous alerter sur la gravité de la situation. Ils nous ont prévenus que cette maison est près de nous tomber sur la tête..», révèle Am Ali, en nous indiquant du doigt l'état de son domicile. Faisant le tour des pièces évacuées de tout meuble, l'on a constaté qu'un canapé vétuste, un téléviseur déjà en panne et deux lits carrément abandonnés. L'intérieur sent l'enfermement et l'humidité. Impossible d'y passer même un instant, sans en sortir pour prendre une bouffée d'oxygène. Ainsi défile la vie d'une famille qui conjure son mauvais sort. Certes, on ne naît pas pauvre, on le devient par la force des choses dont le plus souvent on n'est pas responsable. Ainsi va le monde. Face à ce destin malheureux, Am Ali ne sait pas quoi faire, ni comment s'en sortir. «J'avais contacté, à maintes reprises, tous les responsables locaux et régionaux. Je leur ai écrit autant de demandes explicatives sur l'état des lieux, sans avoir des réponses favorables. J'ai continué de les contacter par tous les moyens, mais personne ne me prête une oreille attentive». Et de poursuivre sur un ton brisé: «Jusqu'à ce jour, je n'ai reçu que des promesses... Seulement des promesses». Pour ce vieil homme de 67 ans, les jours se suivent et se ressemblent. La déception s'affiche sur son visage. Tous les signes d'épanouissement et de bien-être semblent être effacés sous l'effet d'un triste destin. Et l'inquiétude n'épargne aucun membre de la famille. Sa femme Sabiha (57 ans) souffre, depuis une vingtaine d'années, d'une maladie chronique au niveau des os et des articulations. «Les charges pénibles du ménage et cette habitation indécente où nous vivons m'ont causé cet état de santé assez délicat. Mais que pourrais-je faire ?», déplore-t-elle, poussant un long soupir. Elle, aussi, s'est sentie déçue par ce cadre de vie précaire. Au terme d'innombrables visites à l'hôpital régional de Béja, avec des traitements médicaux permanents, cette femme au foyer a fini par marcher à l'aide de béquilles. Actuellement, elle s'attend à ce que la délégation régionale des affaires sociales lui dispense une carte de handicapé. Comme ce fut le cas pour ses quatre enfants, handicapés depuis leur jeune âge. Et pour cause, ils ont, très tôt, abandonné les bancs de l'école à cause de leur état. Hichem, Walid et Abdellatif, tous sont handicapés mentaux, tandis que Karim est porteur de handicaps multiples. Des personnes à besoins spécifiques auxquelles s'ajoute leur mère. «J'en ai assez, je ne peux plus endurer», lance Am Ali, la gorge nouée. Et de reprocher, «on n'a pas profité de cette révolution que l'on imaginait porteuse d'espoirs et émancipatrice de cette extrême pauvreté. Le monde a bien conquis la lune, alors que nous, dans ce pays, nous n'arrivons même pas à garantir aux plus défavorisés les moindres nécessités vitales». Vu l'inaccessibilité des conduites de la Sonede auprès de chez lui, l'homme bénéficie de l'eau potable à la merci d'un groupement d'intérêt commun (GIC), à raison de 10 dinars par mois. Sa pension de retraite ne dépasse pas les 335 dinars. Et bien que son fils Walid, malgré son handicap, lui ait succédé au travail dans les chantiers forestiers à Jbel Tbaba dans la zone, la modique rémunération qu'il touche au bout de 20 jours, soit un peu plus de 200 dinars, ne suffit guère. «Qu'il (Walid) soit intégré dans son travail, car la vie demeure trop chère. Avec cette bagatelle comment je vais arrondir les fins du mois ou penser à construire un autre logement. On m'a déjà promis, depuis deux ans, de me reloger dans un nouveau quartier résidentiel à El Harchia à Nefza», souhaite-t-il, prenant son mal en patience. Par crainte de voir la maison s'écrouler, la famille l'avait fui pour se refugier dans une tente jouxtant qui lui a été fournie, il y a quatre mois, par les autorités locales. A l'intérieur de la tente, il n'y a que des matelas usés et des couvertures défaites. L'espace semble aussi étroit pour pouvoir abriter tous les membres de la famille. «De plus, la tente ne résiste guère aux mauvaises conditions climatiques. En temps de vents forts, elle finit par s'abîmer. Il nous est arrivé, pas mal de fois, de nous retrouver sans abri», raconte Si Ali. Les mots incarnent bien des maux et l'inquiétude s'empare des esprits. C'est ainsi qu'il lance spontanément des appels aux âmes généreuses pour qu'elles lui viennent en aide.