Par Abdelhamid GMATI En même temps que le nouveau gouvernement, l'attention générale s'est portée sur les propos d'un élu nahdhaoui sur l'excision des filles. C'est à croire qu'à chaque fois qu'un problème d'envergure se pose, auquel on ne peut trouver une solution, on fait œuvre de diversion en sortant de faux problèmes. Le député islamiste Habib Ellouze estime que «l'excision des filles est avant tout une question de chirurgie esthétique pratiquée dans les pays chauds». Et il ajoute : «L'excision est une tradition et n'est pas une obligation religieuse mais il est préférable de la pratiquer». Rappelons que cette pratique s'est répandue dans un contexte animiste et pharaonique bien avant les religions monothéistes. Rien à voir, donc, avec la religion. Cette mutilation se retrouvait dans les tribus en guerre et permettait aux guerriers de s'assurer de la chasteté de leurs femmes en leur absence. Dans le même esprit, au Moyen Age, dans certains pays européens, les seigneurs de la guerre cadenassaient leurs femmes avec une ceinture de chasteté. Cela traduisait un esprit «d'appropriation qui veut que chaque femme soit la propriété d'un homme». Les défenseurs de cette mutilation invoquent comme arguments la préservation de la virginité, l'amélioration du plaisir masculin, l'empêchement du plaisir chez la femme, etc. Le député nahdhaoui innove et parle d'hygiène : «Dans les pays chauds, on transpire beaucoup, et en effectuant cette excision, la femme sent moins mauvais et ne risque pas d'être rejetée par l'homme». Faut-il lui rappeler que la question se pose aussi pour l'homme qui transpire autant et risque aussi de sentir mauvais ? Doit-on l'exciser aussi ? Le député devrait savoir qu'il suffit d'un peu de savon et de l'eau pour éliminer la sueur et les mauvaises odeurs. M. Ellouze a bien essayé de démentir, accusant la journaliste d'avoir déformé ses propos mais l'enregistrement de son interview confirme ses dires. Son mouvement s'est démarqué de lui. Cependant, les islamistes, dans leurs diverses interventions de détournement, n'ont que les femmes et leur statut comme sujets de prédilection. Et ce sont les libertés, en particulier celles des femmes, qu'on veut exciser. On se rappellera encore la fameuse disposition de certains députés d'assimiler la femme à une «complémentaire de l'homme». La ministre de la Femme et de la famille, Mme Sihem Badi, estime que «les acquis de la femme tunisienne sont aujourd'hui réellement menacés par des projets extrémistes». Cela ne l'a pas empêchée de participer à un séminaire organisé par les femmes nahdhaouises à l'occasion de la fête de la femme. Ces dames, toutes voilées, dont certaines députées, ont brandi des pancartes exprimant leur refus de la convention de Cedaw (Convention pour l'élimination de toute forme de discrimination à l'égard des femmes) qui instaure, entre autres, le principe de l'égalité complète entre l'homme et la femme et souhaite que le femme acquière plus de droits dans plusieurs domaines, comme l'enseignement, l'éducation, le travail, la santé, etc. Il faut croire que nos députées nahdhaouies veulent rester victimes de discrimination et refusent certaines libertés. Un député nahdhaoui, Bahri Jelassi, a été très explicite sur un plateau de télévision en s'adressant à une dame, universitaire, qui n'était pas d'accord avec lui : «Je vous aurais égorgée si vous étiez ma fille». Un parti islamiste a appelé à un referendum sur la polygamie. Cette même polygamie, qu'un imam salafiste recommandait comme bonne pour la santé des femmes, fait partie, depuis peu, des thèmes de la formation continue des médecins de la santé publique. Il ne faudra pas oublier les petit filles voilées auxquelles on vole l'enfance et la prolifération des mariages «orfi» pourtant illégaux. Beaucoup d'autres libertés sont menacées et risquent d'être excisées. Les attaques portent sur la liberté d'opinion, la liberté d'expression, la liberté de presse. On ne compte plus les agressions contre les journalistes, hommes et femmes et contre divers médias, accusés de tous les maux. Les hommes et les femmes politiques, appartenant à des partis d'opposition ou à la société civile, sont également agressés et menacés de mort. Les artistes aussi sont pris à partie. Le dernier en date, le poète Amjed al-Ilahi qui a affirmé avoir été agressé le lendemain de sa participation à un spectacle de poésie au théâtre municipal de Sousse. Même les représentants de pays étrangers sont visés. Ainsi l'ambassadeur d'un pays européen ami, qui s'était rendu à Bizerte en visite de travail, a été hué par des étudiants islamistes, prié de «dégager» et contraint à quitter les lieux alors qu'il était là pour réaffirmer le soutien de son pays. Ce genre de comportement est pour le moins condamnable. La liberté d'expression est réprimée même pour les nouveaux ministres qui viennent d'être invités à ne pas s'exprimer dans les médias ou du moins à ne pas parler de politique, sauf le nécessaire. En définitive, les propos du député islamiste relèvent du folklore. Mais l'excision des droits et des libertés est autrement plus dangereuse.