Luc Ferry, Pierre Nora (philosophes), Emmanuel Todd (démographe) et trois économistes de renom étaient à «Ce soir ou jamais», jeudi, pour débattre de mondialisation. Si,d'aventure, les chiffres clamés par nos chaînes privées s'avéraient justes, que l'on fasse quand même un petit effort et que l'on se branche, de temps en temps en cours de semaine, vers 22h00-22h30 sur France 3: l'émission «Ce soir ou jamais» est réellement bonne. Comme on en rêve sans cesse, ici, c'est-à-dire, à la fois culturelle et ouverte à tout le monde, facile à suivre. Le top de la communication populaire intelligente, et l'on n'exagère rien ! «Le discours sur la mondialisation est beau à entendre, riche au surplus», a dit Pierre Nora.Malheureusement, il s'arrête à sa rhétorique intellectuelle, il n'a pas de pouvoir sur les choses…» Pierre Nora, en l'occurrence, ne faisait pas de poujadisme (poujade, Boujadi, humble… d'esprit, Zaouali, plus récemment,quelle est donc la véritable origine du mot ?). Il a voulu, simplement, expliquer que la réalité de la mondialisation est trop complexe, de plus en plus complexe, pour se suffire de «quelques idées». Qu'est-ce qui confère cette sorte de fatalité à la mondialisation ? Réponse unanime sur le plateau : — D'abord (surtout ?) l'instantanéité des marchés via Internet. Les échanges ne sont plus «qu'absolument libres» sur le web, ils vont vite, tellement vite que «les Etats en perdent leurs prévisions». — Ensuite (et point final!), parce que rien ne semble devoir arrêter l'immersion foudroyante sur les marchés mondiaux de la Chine et de l'Inde. Plus comme acheteurs, par milliards, mais, désormais, comme financeurs, inventeurs, fournisseurs et vendeurs. L'Europe, a-t-on souligné, s'est un jour fourvoyée dans sa stratégie: elle a imaginé être le cerveau du monde (source unique des technologies de pointe) et laisser le soin de la production aux autres. Au final, c'est l'inverse qui s'annonce : la Chine et l'Inde dominent aussi bien l'amont (la création) que l'aval (les marchés) de l'économie planétaire. Comment le Nord, traditionnellement leader, pourra-t-il s'en sortir ? Comment pourra-t-il récupérer son leadership? Pas d'accord, en revanche, sur ce chapitre, les philosophes pataugeaient dans les abstractions : ils ont parlé de retour au protectionnisme, de décroissance, d'écologie. Les économistes, eux, ne dissimulaient ni leur impuissance, ni leur étonnement. Globalement dit, personne n'a trouvé de parade au fulgurant libre-échange sur Internet, et encore moins à l'immersion foudroyante de l'Inde et de la Chine. On a juste évoqué l'hypothèse d'une «totale remise à plat». Entendre: réviser le libéralisme de fond en comble, pour espérer «reprendre la main». Sincèrement, on ne voit pas comment. Etre soi et l'autre : défi Quelle est la part du Sud dans le problème ? Pas un mot (ou presque) là-dessus. Vraisemblablement, tout le monde sur le plateau avait implicitement convenu qu'en ce qui nous concerne, pays émergents, les alternatives (si tant est qu'elles existent) ne peuvent être que des «résultantes» : tout dépend de ce que feront les autres: l'Europe en premier. A vrai dire, la globalisation pour nous se complique d'un nouveau combat, celui de la culture. La pensée unique menace notre spécificité culturelle (musique, langue, traditions, modes de vie, etc.). Nous essayons de nous défendre, mais dans le même temps nous voulons garder un ancrage économique avec un Occident de plus en plus fragile, de plus en plus frileux. Paradoxe douloureusement nôtre : une identité et une utilité en mal de convergence. Comment être, tout à fois, soi-même, ouvert à l'autre, «protectionniste» et «dépendant» ? Cela a tout l'air d'une «panacée utopique», mais pour nous, pays du Sud, c'est le seul et incontournable défi. Un pathétique manqué Un détour par le «quatrième art», a l'occasion du nouveau cycle de «la pièce- monologue», de notre consœur Souad Ben Slimane Força la touâd. On a beaucoup aimé le (les ?) personnage(s), encore mieux le texte. Un peu moins le jeu. On n'a pas «la fibre sociologue», mais il nous semble que cette femme frustrée et lucide incarnée par S.B.S. existe bel et bien autour de nous, sans que l'on y prenne trop soin, du reste. Cette sorte de «profil féminin moyen», pas assez moyen (parce que plus perspicace que l'on ne suppose) pour subir, sans réaction (sans gâchis) les interminables absurdités de la vie. On rit certes (parfois) de tant de spontanéité, d'intelligence désabusée, mais l'ensemble est davantage propice au sérieux que prêtant à la drôlerie. Il eut mieux fallu, croyons- nous, donner priorité à cet aspect grave des choses, dans la texte, surtout dans le jeu. Ne pas forcer sur l'hilare au détriment du pathétique. Modestement vu. Globalement dit.