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L'envers du paradis
Jihad des jeunes Tunisiens en Syrie (1ère partie)
Publié dans La Presse de Tunisie le 28 - 03 - 2013

Au croisement du religieux, du psychologique et de l'économique, avec la licence des dirigeants locaux et sous le diktat de la géopolitique mondiale, dans les filets du crime organisé et des groupes armés, près de six mille tunisiens âgés entre 17 et 30 ans sont enrôlés dans les rangs de la rébellion syrienne, en première ligne d'une guerre par procuration. Ont-ils vraiment choisi la route du jihad et du martyre? Comment se font leur mobilisation et leur recrutement? A quels enjeux nationaux et internationaux obéit leur enrôlement ? Sont-ils, à ce jour, morts, blessés ou détenus dans les prisons syriennes ? Outre quelques manœuvres tactiques tel le retour bruyant d'alias Abu Zayd Attounoussi, peu de nouvelles parviennent du front, encore moins des dédales des filières de recrutement... De quels enfers terrestres est pavée la route du paradis ? Notre dossier...
Que cache le silence de l'écrasante majorité des familles des jihadistes et des martyrs ? De quoi, de qui ont-ils peur? L'argent est-il paradoxalement l'enjeu majeur du jihad en Syrie? Qu'est-ce qui explique le silence et la permissivité de l'Etat tunisien devant l'hémorragie humaine ?...
« F. a promis d'envoyer un ami pour m'aider à le rejoindre en Syrie... Je suis prête et je l'attends... Depuis son départ en automne, je l'ai eu plusieurs fois au téléphone de Libye puis de Turquie et j'ai compris que son périple n'a pas été facile... Voilà deux mois qu'il ne m'a pas appelée mais j'ai le sentiment qu'il est vivant... Inchallah ! Il n'a jamais failli à sa parole... ». Derrière son niqab, M., dix-neuf ans, mariée l'été, abandonnée l'automne par un mari de 21 ans, est inébranlable. Parlant du départ de son mari comme d'un voyage d'affaires et de la guerre en Syrie comme d'une mission ordinaire, elle concède furtivement ces quelques bribes, à la faveur d'une intervention «amicale»... Qui l'a aidé à partir ? Sur quel front opère-t-il en Syrie ?... M. répond brièvement qu'il a pris son passeport et qu'il est sorti des frontières aériennes en toute légalité. Moins sereine, la mère de F. se plaint d'avoir été « leurrée » par son fils et sa bru qui lui ont caché la vraie destination du voyage.
Le commerce de la mort
Plus loin dans le quartier, le voisinage chuchote que «la grande famille B., frères et sœurs, maris et femmes, devenus tous salafistes après la révolution, a accompli une heureuse transaction commerciale qui lui a permis en quelques mois de gravir ostensiblement l'échelle sociale, d'acheter et de restaurer trois villas voisines, d'acquérir un taxi et deux estafettes, d'ouvrir un commerce prospère... C'est ce qui explique leur silence ! ». Contrairement à la mère et l'épouse, le père et les frères de F. sont hostiles à toute curiosité médiatique. Ils ont, visiblement, tourné la page du martyre et ouvert celle des affaires.
S'il tranche avec l'image des rares mères endeuillées, des pères en colère et des veuves en détresse qui ont accepté de témoigner sur nos écrans, le cas de la famille B. n'est pas un cas isolé. De Yassminet à Ettadhamen, le retranchement, le silence, le fatalisme et... le business sont de mise quand l'enfant quitte le territoire, par Ras-Jedir ou Tunis-Carthage, que ses nouvelles se font rares, se taisent et que sa mort tarde à être confirmée. Des rendez-vous fuis, des numéros de téléphone qui ne répondent plus, la majorité des familles contactées refusent de répondre aux sollicitations médiatiques, ou se rétractent in extremis. Après enquête à Cité Yassminet de Ben Arous, il s'avère que l'Omerta concerne un large rayon du voisinage. Mais des rumeurs trahies au fil des indiscrétions des cafés et des commerces rendent compte de deux hypothèses. Selon la première, les dizaines de familles des jihadistes connues par-ici ont ceci en commun qu'elles connaissent, de manière synchronisée, une soudaine et visible amélioration de leurs conditions économiques. La création d'un petit commerce dont le fonds est fourni par une association caritative n'est jamais bien loin. La seconde est qu'elles vivent dans un climat de peur et de menaces et qu'une épée de Damoclès pèse sur leur existence de la part de « recruteurs sans foi ni loi »... Après avoir promis de révéler les noms et les repères des deux «intermédiaires» qui ont organisé le départ simultané de leurs enfants, quatre familles, rencontrées dans la localité de Sidi Abdelhamid à Sousse, invoquent laconiquement que ces recruteurs sont partis vers la capitale sans laisser de trace. Partis à leur insu, les quatre enfants ont entre 20 et 23 ans et, après une première étape où ils ont donné des nouvelles à raison de deux fois par semaine, les voilà réduits au silence et portés disparus depuis plus d'un mois... «Morts, blessés, très actifs sur le front comme le dit la légende des mouqatilins tunisiens ou détenus dans les prisons de Bachar..., espérons connaître un jour la vérité !», conclut ce père avec une froideur déconcertante.
Qui a dit que le jihad était une « démarche volontaire»?...
Plusieurs sources concordantes estiment, vaguement, à plus de six mille le nombre des jeunes Tunisiens partis en Syrie. Revue à la baisse ou à la hausse et fluctuant au gré des sources entre 3 et dix mille, cette moyenne rend surtout compte de l'ampleur d'un fléau qui échappe à tout recensement. Selon nos sources, seuls les services des renseignements algériens en détiendraient le secret. Plus que la porosité de nos frontières, le phénomène trahit, à l'échelle nationale, l'absence anormale de renseignements, de contrôle routinier et de sécurité ordinaire.
Ce qui autorise trafics de passeports et d'êtres humains. Justifiant cette lacune et légitimant «la permissivité» ou «la complicité» qui leur sont reprochées, et là où d'autres voient un grave problème de terrorisme et de souveraineté, les membres de l'ancien et du nouveau gouvernement invoquent la démocratie et la liberté de circuler... «Ils ne nous demandent pas notre permission avant de partir et nous ne sommes point habilités à les empêcher de circuler librement...», martelait en janvier, l'ex-ministre des Affaires étrangères. Deux mois après, les bilans des morts et des disparus et la campagne médiatique soutenue autour de l'ampleur de l'hémorragie vont à peine nuancer le discours du nouveau gouvernement. En parfaite concordance avec les propos du président d'Ennahdha, Rached Ghannouchi qui a nié l'implication de son parti et s'est contenté de lancer qu'il «ne conseille pas» les jeunes de partir, les déclarations du chef du gouvernement et du ministre des Affaires religieuses réitèrent le même «conseil», mais précisent n'avoir aucunement le droit d'empêcher le voyage...
Or, souscrire massivement au jihad, s'entraîner, user de faux passeports, porter des armes, appartenir à des groupes armés et participer à des combats, relève-t-il du voyage ordinaire et de la démarche volontaire, intime et spontanée qui entre dans la catégorie des libertés individuelles ?... Rien n'est moins sûr quand on remonte la route locale de l'appel au jihad, de l'enrôlement idéologique et du recrutement logistique.
Mosquées : deux ans de conditionnement...
Autant l'embrigadement se fait haut et fort dans la ferveur des prêches religieux, autant le recrutement et l'acheminement logistique des jeunes jihadistes se passe dans l'opacité et la clandestinité. Mosquée El Fath, Mosquée Ennassr, Mosquée Ettadhamen, Grande mosquée de Ben Arous, Mosquée Menzel Abderrahmane et jusquà Ghédamès et Tataouine dans le sud tunisien ... Dans l'euphorie post-révolutionnaire, plus de quatre cents mosquées ont abrité le retour de l'étranger, la sortie de prison et les nouvelles recrues du salafisme tunisien. Nombreuses, au gré de l'emplacement et des budgetss se sont très vite transformées en pépinières de futurs jihadistes. Caches d'armes, entraînements martiaux, trafics juteux, complicité avec des associations caritatives, l'organisation de la vie alentours se fait au quotidien dans la perspective d'une guerre imminente et d'un projet de conquête. Aux prédicateurs locaux autopromus, se sont ajoutés au gré de l'actualité politique des prédicateurs du Golfe et d'autres venus directement de Syrie.
Certaines mosquées ont accueilli dans leurs halls, de jour comme de nuit, de mystérieuses mendiantes syriennes présentées aux Frères tunisiens comme des réfugiées fuyant la répression. Jeunes et moins jeunes, elles servaient de couvertures à des convois humanitaires fictifs, d'avant-goût aux butins de Damas pour les survivants et aux vierges du paradis pour les futurs martyrs... C'est dire la préparation minutieuse et le financement généreux qui auront permis à des milliers de jeunes de se sentir «prêts au sacrifice» et de passer les frontières, dans un premier temps pour faire la guerre en Libye, (personne ne parlait alors de jihad) et en Syrie dès que le conflit a pris son tournant militaire. (Lire chronologie).
Associations : hommes et munitions sous le couvert de l'humanitaire
Elles n'ont pas pignon sur rue, comme les mosquées. Ce sont des associations d'obédience islamistes, tunisiennes ou solides succursales d'associations étrangères à fonds mixtes (syriens, libanais, qataris...) qui, selon des sources concordantes, tels les sites Tanit Press, African Manager, Résistance des peuples, seraient les principales coordinatrices des recrutements et des départs des jeunes Tunisiens vers la Syrie. Difficile de les repérer sur la longue liste des 500 associations d'appartenance islamiste créées et publiées dans le Journal officiel depuis janvier 2012. Néanmoins, des jihadistes de retour de Syrie en citent notamment Karama wa Horrya», «Arrahma», «Horrya wa Insaf»... Contactée, Imène Triki, présidente de « Horrya wa Insaf », connue pour sa défense fervente des salafistes jihadistes, nie en bloc l'implication de son association : «Mon seul rapport avec cette question c'est l'écoute de quelques mères dont les enfants partent puis rendent compte de leurs souffrances et de leurs regrets...». A son retour de Syrie, Marwane Essadki accuse « Horrya wa Insaf » d'avoir organisé son recrutement.
Selon le journaliste tunisien Ahmed Nadhif, du site Tanit Press (lire encadré), les associations opèrent, en général, sous le couvert de l'action humanitaire et acheminent des jeunes sans passeports ou munis de faux dans la foulée des convois d'aide aux fronts du combat en Syrie. Convois qui ont aussi permis l'acheminement des armes entre la Libye et la Syrie. Le contact de ces associations avec les jeunes candidats au jihad n'est pas toujours direct mais passe généralement par des personnes intermédiaires connues dans le voisinage et dans les parages des mosquées.
Des réseaux démantelés en catimini et une tactique «jihadiste» pour booster la mobilisation
«C'est l'oncle de K. qui l'a aidé à partir à l'insu de la famille. Les derniers jours, on les voyait tout le temps ensemble et très affairés... Dans le quartier, cet oncle est connu pour être l'homme à tout faire d'Ennahdha. Il a travaillé dur pendant la campagne électorale, il mobilise les gens pour les manifestations... Il est retraité mais depuis quelque temps ses affaires ont prospéré...», témoigne cet épicier de La Manouba.
Quelle que soit la vérité des réseaux de recrutement dont seules quelques bribes sont dévoilées par de rares médias et quelle que soit la dimension réelle du phénomène du jihad des Tunisiens en Syrie, une question se pose quant au silence et l'inertie des ministères de l'Intérieur et des Affaires étrangères. Plusieurs fois sollicités, ils se gardent de la moindre réponse. Rompant récemment le silence, le nouveau ministre de l'Intérieur annonce la création d'une cellule de crise et l'ouverture d'une enquête sur les filières de recrutement. Mais une source proche des brigades criminelles nous confie sous le couvert de l'anonymat que les brigades poursuivent ces réseaux depuis quelques mois déjà et ont même réussi à en démanteler quelques-uns. «Le problème est que le ministère refuse de donner suite à ces affaires car elles impliquent des dirigeants du partis Ennahdha et ont de graves ramifications étrangères...»
Dans quelles aventures la route du jihad en Syrie mène la Tunisie ? Fraîchement accueillie au sein de la Ligue arabe et depuis que ses fronts de combat se sont scindés en factions nationales (Armée Libre) et autres étrangères composées essentiellement de salafistes jihadistes et de mercenaires (Jabhat Annoussra, Jabhat Ahrar Echam...), l'opposition syrienne multiplie officiellement les appels à arrêter le flux des jihadistes étrangers.
Ce n'est pas le cas du côté des factions jihadistes elles-mêmes qui continuent à compter sur les renforts tunisiens. L'apparition sur une chaîne de télévision tunisienne d'alias Abu Zayd Attounoussi s'inscrit dans le cadre d'une tactique de guerre consistant à utiliser des figures célèbres du jihad en Syrie pour booster la mobilisation, refaire l'éloge du jihad, l'étalage des butins de guerre (femmes, maisons, voitures, téléphones portables...) et redorer l'image du combattant entamée par une campagne médiatique soutenue. Mais l'imposture et l'appel à la violence du «héros» qui n'a pas exclu le bien-fondé d'un futur jihad en Tunisie ne pouvaient pas tromper l'opinion...
De quoi mesurer la difficulté à expliquer le phénomène du jihad en Syrie et l'ensemble du paysage islamiste régional à travers le prisme prétendu du religieux...


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