Ce nouveau recueil de poésie fait honneur ainsi que le bonheur à la trajectoire en spirale que s'est tracée Point barre dès sa parution. Une antenne qui relie et relaie les alphabets pluriels et ouvre de larges perspectives à ce qui se fait au large les mers de la Caraïbe, de l'Océan Indien et du Maghreb avec le Tunisien Tahar Bekri Jamais la montée de la haine et de l'intolérance religieuse n'a été aussi grande et inquiétante que depuis quelques années déjà, si tant est qu'on puisse faire confiance à cette mouvance de rejet de l'autre sous prétexte qu'il ne partage pas notre idéologie et nos croyances religieuses. Le mouvement de l'altérité jubilante, pleinement assumée et revendiquée, s'est accompagné ici d'une mouvance de l'altérité. Sentiers ouverts par la bonne volonté de tous les manieurs de mots, les dires poétiques libres d'entraves et de crispations idéologiques et spirituelles restent les armes les plus puissantes contre l'instrumentalisation de l'ignorance. «Lampedusa», une plaie ouverte Fidèle à son projet initial, la revue de poésie contemporaine Point barre, avec une préface de Françoise Lionnet et des illustrations originales de Laval Nang, prône un singulier pluriel et des espaces-temps qui englobent des inconnues à l'échelle cosmique, planétaire et sidéral. Point Barre se fait un devoir de ne pas succomber au «Dieu de l'essence», celui qui interdit «les pluriels de l'errance», ainsi que le soulignent les vingt-six poètes dont les mots aiguisent ici nos perceptions, tout comme le poème «Lampedusa» du Tunisien Tahar Bekri. Au sommaire de ce recueil, certains poètes se sont révélés d'excellents virtuoses en vers, capables de promesses que nous saluons au passage et des aphorismes d'où jaillissent des images, poignantes et violentes, des images d'une terre qui est rouge comme un orage de mondes flous qui vous prennent en otage. Les poèmes des Comoriens Mohamed Ansoufondine, et Ben Ali Saindonne, des Mauriciens Oumar Timol et Yusuf Kadel, du Français Jean-Bernard Papi avec l'excellent Sabra et Chatila, un vibrant hommage au peuple palestinien et enfin «Lampedusa» de Tahar Bekri, un poète tunisien né en 1951 à Gabès; il écrit dans les deux langues, il est Maître de conférences à l'Université Paris X. Il a publié une quinzaine d'ouvrages, salués par la critique. Il a été traduit dans une quinzaine de langues. Son poème «Lampedusa» a été exposé au Musée d'Archéologie à Lampedusa, d'août à octobre 2011 sur invitation de l'artiste Marco Nero. Lampedusa Si ta main se ferme comme la pierre Si ton olivier fait peur aux oiseaux Si ta porte est un rideau de fer Si ta cloche est sourde aux cris de la mer Si l'horizon remplit ton cœur d'épouvante Comment peux-tu honorer la terre ? Si ton cactus ne sait donner que des épines Si ton muret est une frontière pour les rapaces Si ta vigne ne partage pas ses raisins Si ton rivage vomit les corps anonymes Si ton cimetière ne vaut pas une prière Si ton rêve est une nouvelle empaillée Comment peux-tu aimer la liberté ? * Point barre Revue de poésie contemporaine, île Maurice, Ed Vilaz Metis. Mars 2013