Selon une étude réalisée par l'observatoire Ilef pour la protection du consommateur, le nombre des victimes d'infractions immobilières a augmenté au cours des dernières années. La principale cause serait le texte de loi n° 17 du 26 février 1990 qui aurait «délibérément» ouvert la voie aux abus et à la corruption et livré les acquéreurs aux longues et coûteuses batailles juridiques. Il n'existe pas de statistiques officielles et l'étude en question, empirique, se base essentiellement sur de nombreux témoignages de plaignants qu'aurait recueillis l'observatoire Ilef. Les fraudes, dépassements ou manquements, selon la nature du délit, touchent toutes les étapes de l'exécution du projet immobilier. La liste des délits est longue. Elle mentionne notamment le non- respect des clauses du cahier des charges (critères techniques, superficie et qualité des matériaux de finition), le non-remboursement de l'indemnité de retard dans l'exécution du projet, l'ajout de clauses dans les contrats permettant au promoteur de disposer à des fins commerciales des espaces communs aux acquéreurs (copropriété), la pression sur le futur acquéreur pour annuler la promesse de vente à cause du retard d'exécution et le refus de réparation des défauts de construction constatés après la livraison de l'immobilier... L'étude en question rappelle, par ailleurs, les grandes lignes procédurales à respecter en cas de transaction entre promoteur immobilier et futur acquéreur, insistant sur la nécessité, pour le promoteur, de veiller à la bonne exécution du projet; de décrire avec précision le projet immobilier, objet de la transaction, dans la promesse de vente et d'y indiquer la date de livraison ainsi que les pénalités de retard et, quatrièmement, d'assurer le contrôle des travaux par un architecte, un ingénieur conseil ou un bureau d'études agréé. Le cas échéant, le futur acquéreur doit obtenir également des garanties pour les avances versées au début et au cours de l'exécution du projet, sous forme de caution bancaire ou de contrat d'assurance, comme le stipule le décret-loi n°1330 de 1991. «Dans certains cas, ces avances sont utilisées pour financer d'autres projets, ce que le législateur a signalé dans la loi de 1977 mais cela a été retiré de celle de 1990», précise M. Lassaâd Dhaouadi, membre de l'observatoire Ilef. Le ministère de l'Equipement ne contrôle pas un secteur libéralisé Pour M. Dhaouadi, auteur de l'étude, la prolifération des pratiques frauduleuses est due essentiellement au texte de loi de 1990 qui, en amendant la loi de 1977, a laissé des vides juridiques, voire des aberrations qui ont favorisé la corruption et d'autres abus ou malversations. Une information récente aurait même fait part du retrait de deux agréments de promotion immobilière. L'administration de tutelle, pour sa part, dément sans toutefois renier l'existence de pratiques frauduleuses, dont certaines échappent carrément à la loi en vigueur. M. Hammadi Fakhfakh, directeur général de la promotion immobilière au ministère de l'Equipement, fait tout de même une précision : «Il faut relativiser car généralement les infractions ne concernent pas les normes de construction mais principalement tout ce qui a trait aux contrats et autres transactions», précise-t-il. Et d'ajouter que les derniers retraits d'agréments remontent à 2001, 2003 et 2012. Le premier concerne un projet immobilier à Ben Arous revenant à l'homme d'affaires Fethi Dammak et imputé au non-respect des critères de construction ; le deuxième touche un projet à Sousse relevant de la société des constructions immobilières de Tunisie pour non-respect des engagements et le troisième pour changement d'activité demandé par la promotion immobilière «Chérif» elle-même. «Aucun retrait n'a été effectué après la révolution», insiste encore le responsable, et ce, malgré les abus, voire l'anarchie qui n'ont épargné aucun domaine en cette période de transition en raison de l'absence de tout contrôle. «Dans tous les cas de figure, le ministère de l'Equipement ne fait pas de contrôle sur un marché libéralisé, sauf quand il s'agit de logements sociaux qui, eux, relèvent des promoteurs publics (Snit) ; la loi de 1990 a été justement promulguée dans le cadre de la libéralisation du marché et l'encouragement de l'investissement privé ; c'est pour cela que des dispositions qui existaient dans la loi de 1977 ont été supprimées». Le résultat de cette libéralisation est l'augmentation substantielle de la participation du secteur privé dans la promotion immobilière : de 2% avant 1990 à 25% après la promulgation de la loi de 1990. Les constructions de standing ont, également, fait alors leur apparition et ont même connu un boom. Black-list et sanctions Mais libéralisation ne signifie pas loi de la jungle, et M. Fakhfakh d'expliquer que la promotion immobilière est régie par des règles et des contraintes qui existent notamment dans le Code de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme. Le respect de ces règles tout au long de l'exécution des travaux et leur suivi par des professionnels, comme les architectes, les ingénieurs ou les bureaux d'études, sont en mesure de garantir le respect des normes de construction, de sécurité et les droits de l'acquéreur. «Dans le cas d'abus, il reste les tribunaux car les droits des acquéreurs et les obligations des promoteurs sont réglementés par des textes et des articles de loi spécifiques à chaque situation et à chaque étape du projet (lois de 1990, 1991, 2000, 2009, ndlr)», ajoute-t-il. Pour le membre de l'observatoire Ilef pour la protection du consommateur, l'intervention de l'Etat, plus précisément celle du ministre de l'Equipement, pour mieux protéger le consommateur est indispensable. Cette intervention doit se manifester par un meilleur contrôle des sociétés de promotion immobilière et par l'application des sanctions contre les contrevenants conformément à l'article 8 de la loi relative à la promotion immobilière. Mais encore : la révision du cahier des charges de la promotion immobilière, l'établissement d'une black-list des promoteurs corrompus et arnaqueurs et la mise en place d'un mécanisme de dédommagement des acquéreurs abusés Rapide et efficace, sachant que les procédures judiciaires sont longues, coûteuses et non garanties. «Le renforcement juridique de la protection du consommateur est un sujet qui est à l'ordre du jour du ministère de l'Equipement, mais cela prendra quelque temps car il faudra d'abord mettre en place les mécanismes et les structures nécessaires», affirme le directeur général de la promotion immobilière. En attendant, l'envolée des prix après la révolution poursuit sa course folle et l'acquisition d'un logement reste un rêve inaccessible pour un bon nombre de Tunisiens.