Après la projection de La Vie d'Adèle présenté en compétition officielle au 66e festival de Cannes, le réalisateur Abdellatif Kechiche a donné une conférence de presse accompagné de ses deux actrices Adèle Exharcopoulos et Léa Seydoux, qui se sont répandues en éloges à l'égard du réalisateur et sa façon de «diriger sans diriger et de leur donner une totale liberté, à telle enseigne qu'elles ne savent pas quand elles sont filmées». Voici une vue de la conférence où La Presse a également posé des questions. Marivaux est encore une fois, comme dans L'Esquive, abondamment cité dans votre film, est-ce un hommage ou un parti pris ? Marivaux est mon auteur préféré, je me délecte à le lire, car c'est un auteur qui explore la psychologie des êtres et des sentiments. Son œuvre La vie de Marianne est immense. J'ai longtemps traîné cette idée de m'interroger sur le coup de foudre, le premier désir. Et comme Marivaux l'exprime tellement bien, j'ai commencé le film avec une scène où un professeur et ses élèves analysent un texte de Marivaux portant sur le désir. Dans vos films, il y a également des scènes récurrentes de classes où l'on voit des échanges entre des professeurs et leurs élèves, comment l'expliquez-vous? J'apprends beaucoup en regardant les nouvelles générations, je suis très admiratif de la jeunesse d'aujourd'hui. C'est plutôt un regard tendre et admiratif. J'ai filmé beaucoup de professeurs de différentes disciplines en train de donner leurs cours. C'était de bons moments qui n'ont pas tous leur place dans le film, mais que je compte montrer certainement plus tard, peut-être sur Internet. Ce qui est sûr, c'est que je trouve cette jeunesse passionnante, exaltante et plus libre que la mienne qui n'a pas connu la profusion des satellitaires et Internet ? Nous avons remarqué comme un positionnement pour le personnage d'Adèle qui a les pieds sur terre et qui veut suivre une carrière d'éducatrice, son unique ambition étant de leur venir en aide, alors que Emma se destine à une carrière d'artiste, plutôt dans la création et la réflexion, d'où une sorte de dérision par rapport à ce personnage. Est-ce le cas ? Ce n'est pas de la dérision ou un positionnement, mais j'ai déjà exprimé dans L'Esquive mon admiration pour ces éducateurs qui passent leur vie à donner le savoir aux élèves et s'investissent dans ce métier que je trouve magnifique. J'ai aussi beaucoup d'admiration pour les artistes et les peintres. Il y a une dualité, il est vrai : d'un côté un personnage pragmatique qui veut faire de l'éducation son métier et de l'autre un personnage aérien plus dans la perception et c'est là peut-être la difficulté entre les deux personnages, d'où leur rupture. Vous filmez vos personnages la plupart du temps en gros plan, pourquoi et comment avez-vous vécu cette expérience? Ce n'est pas une chose à laquelle on réfléchit vraiment le matin en venant au tournage. Quand on aborde la place du cadre, on commence par le chercher, c'est un peu comme le photographe qui cherche la meilleure façon de poser le cadre. Le gros plan dérange moins que la caméra très proche. Ça permet de voir le moindre petit mouvement. Les scènes tournées entre les deux protagonistes sont d'une grande chaleur, ampleur et sensualité. Est-ce que c'était écrit ou improvisé ? La sensualité est plus difficile à suggérer dans les scènes de repas. Même si ce n'est pas facile de rendre la beauté des visages, la sculpture des corps, la lumière. On s'en est amusé. Ce sont des moments où on a construit des personnages, il s'agit de jeu et c'est amusant pour des acteurs de jouer quelque chose qui ne leur appartient pas forcément. Le film s'intitule La vie d'Adèle chapitre 1 et 2, est-ce la promesse d'une suite ? Il est vrai que depuis L'Esquive j'ai du mal à quitter mes personnages et je pense toujours à ce qu'ils sont devenus dix ans après. Ce qu'ils ont construit dans leur vie. L'association d'idées entre Marivaux et La vie de Marianne n'est pas achevée, elle continue.