Par Anne-Marie EL KHATIB* Une identité pauvre ou appauvrie par lidéologie rend malade et favorise un délire de persécution et de survalorisation. Le comportement devient haineux, sectaire, crispé sur l'altérité refusée ou fantasmée hostile. On agresse et on schématise. On devient anti humaniste, on se ferme à la richesse des autres cultures et des modes de vie. L'option du repli est en pleine contradiction, de plus, avec le vécu puisque nous sommes obligatoirement plongés dans le monde occidental et ses gadgets, sa mondialisation. Cette option de repli génère hallucination et rejet pathologique. Elle fait opérer des distorsions du réel et la pensée est atrophiée du refus de faire l'étude et la critique rationnelles de ce qui est autre. Il est évident que la Tunisie utilise trois langues au moins et regroupe trois religions, ce qui pourrait très bien être inscrit au fronton de la constitution au lieu d'une délimitation restrictive, frileuse et menaçante pour les autres options de vie et de culture. Pourquoi cette volonté de totale fermeture? Il faut dire au préalable que l'Occident y a poussé directement ou indirectement, de plusieurs façons. Il a exercé une colonisation impitoyable déstructurant les mœurs et les personnalités et qui reste et restera blessure du narcissisme et source de la dévalorisation de soi, contrée maladroitement par une survalorisation, une autocongratulation pour le moins aussi caricaturale. Il a imposé la poursuite de la domination économique et maintenu le racisme ordinaire, l'européocentrisme jamais déraciné. Jamais. Mais il faudrait cesser d'accuser par automatisme de pensée. Il faudrait cesser de gémir pour enfin faire face à la complexité du réel, prendre le taureau par les cornes. Et il est nécessaire de ne pas occulter – à côté du regard aliénant et dominateur – l'implication politique positive et libératrice de nombreux militants occidentaux anti colonialistes. On occulte trop les positions philosophiques de fortes personnalités qui ont changé la donne comme Franz Fanon, les poètes et les écrivains antillais et africains qui se sont formés aux idées révolutionnaires par l'école coloniale elle-même. On focalise trop soit sur les excès extrémistes fascisants, soit sur le ressentiment et la revanche qui minent le corps et l'esprit. On oublie la force des idées nouvelles. Bourguiba et Nasser ont apporté des réponses non réductrices. Ils comptaient sur l'intelligence des peuples, leur peuple et l'ouverture croissante des esprits. Il est donc souhaitable d'aller vers une conception élargie, plurielle et décomplexée de l'identité pour éviter l'ornière à la fois agressive et suicidaire d'une identité de revendication répétitive et irrationnelle : l'identité meurtrière soigneusement analysée par Amin Maalouf dans son ouvrage Les Identités meurtrières . A part son point de vue théorique, il y fait part de son vécu multiple en tant que Libanais vivant en France et il montre que l'ouverture, si elle est un souhait, une espérance, est obligatoire de toute façon dans un monde de circulation matérielle et immatérielle généralisée. Il n'est plus possible de vivre en circuit autarcique et dans la mentalité de la dénégation qui mine l'intelligence et la raison ce qui , nous ne le savons que trop, engendre des monstres.