De la finance à l'hôtellerie, il n'y a qu'un petit pas à franchir. Mais le plus réside dans cette subtilité à savoir marier traditionnel et modernité. Chez les Bengacem, on est dans la finance, de père en fils. Mais il est un autre gène chez eux qui se transmet irrémédiablement, c'est celui du collectionneur, et de l'amoureux des vieilles pierres. Ce qui explique que cette dynastie de financiers exerçant, ou ayant exercé, en Europe ou dans les pays du Golfe, se retrouve embarquée dans une jolie aventure familiale : l'ouverture d'un hôtel de charme dans une des plus belles rues de la Médina, la rue du Pacha. La demeure date du XVIIIe siècle, avec de fortes réminiscences du XVIIe, et a longtemps appartenu à une famille de parfumeurs célèbres du Souk el Attarine, les Anoun. Demeure bourgeoise de proportions respectables, tout en conservant l'échelle humaine, elle avait de belles harmonies, avait conservé une belle apparence et avait été habitée de façon continue. Les maisons que l'on n'a pas abandonnées sont des maisons heureuses, et elles dégagent quelque chose dans leurs murs. C'est probablement à cela que fut sensible Si Hmida Bengacem, et avec lui, sa fille qui, d'Abou Dhabi où elle dirige avec science et compétence un fonds d'investissement, rêvait d'ouvrir une guest house. Une fois la maison découverte, il fallait lui rendre vie, en respectant son passé, et les choix antérieurs qui avaient été faits. Pour cela, on fit appel à l'architecte qui connaît le mieux la médina, ses codes, ses interdits, et qui s'inscrit dans le respect et la filiation des bâtisseurs des temps passés. Chez Zoubeir Mouhli, du team de l'ASM, point d'esbroufe ni de show off, mais une humilité conjuguée avec un remarquable talent d'«aménageur». La maison est tout à fait la même, et pourtant tout autre. Une fois consolidées les structures, grattés les enduits, replacés les lambris, tapissés les sols, on a gardé les espaces de réception, driba et skifa, n'intervenant que pour les couper par une porte de verre. On a conservé au patio sa vocation de ciel ouvert, et sa particularité de galeries en L, probablement inachevées par les précédents propriétaires. On a également préservé les structures en T des chambres traditionnelles, se contentant de glisser une discrète salle de bains, ou un dressing dans une sedda que l'on isole par une porte aux vitraux de couleurs tout à fait dans le style des lieux. On a transformé les longues et étroites pièces, aujourd'hui inutilisables, en conviviales salles à manger pour des petits déjeuners où l'on aura plaisir à réunir de grandes tablées. Et l'on s'est permis d'intervenir avec bonheur sur une terrasse qui domine Tunis et ses monuments les plus prestigieux, en y installant un kiosque qui sera, à n'en pas douter, la «vérité de la maison». Une fois cette maison réalisée avec un goût et un sens du détail que l'on avait hélas oubliés, on a demandé à un autre amoureux, et fin connaisseur du patrimoine, de la mettre en scène. Mohamed Messaoudi l'a meublée, et accessoirisée avec le raffinement et la créativité qu'on lui connaît, offrant la place belle à l'étonnante collection du maître de céans, céramiques, cuivres et meubles anciens, mais introduisant également des touches modernes, et des clins d'œil qui gardent toujours une référence patrimoniale. Et si les kallalines cohabitent avec des céramiques inspirées de la révolution, et que des cartes anciennes sont confrontées à des tableaux de Hamadi Ben Saad, c'est en toute bonne intelligence et en gracieuse harmonie Dar Bengacem se décline en quatre suites et trois chambres, un patio et une terrasse propice aux évènements culturels et sociaux, un accueil familial chaleureux et raffiné, une implantation au cœur du quartier aristocratique de la Médina : un morceau de paradis