Marzouki écoute les propositions et les analyses de tout le monde. Mais que pourra-t-il faire concrètement? Les consultations menées au palais de Carthage par le président Moncef Marzouki peuvent-elles aboutir à des résultats concrets? Les sujets débattus par les invités du chef de l'Etat parmi les partis politiques ou les organisations de la société civile et les déclarations les sanctionnant ne font-ils pas, en réalité, double emploi avec les travaux de la commission parlementaire des compromis censée résoudre les points de discorde concernant le projet de Constitution ? Le président Marzouki a-t-il la stature d'un président fédérateur vers lequel les Tunisiens se tournent en période de crise et de tension ? Certains parmi les acteurs du paysage politique national voient d'un œil suspect les initiatives du Dr Marzouki y décelant une tentative de redorer sa propre image déjà altérée par ses bourdes à répétition. D'autres considèrent qu'il est de son devoir, même si ses prérogatives sont assez limitées, de prendre de telles initiatives et de faire prévaloir la logique du dialogue et de la concertation «les seuls mécanismes qui nous évitent de voir la rue gouverner à sa guise, avec les dérives et les dépassements qui pourraient en découler menaçant le pays et sa stabilité». Marzouki courtise tout le monde Pour Ahmed Essafi, constituant du Parti des travailleurs (composante essentielle du Front populaire), «Marzouki n'a jamais dérogé à ses habitudes et à sa façon de gouverner depuis qu'il s'est installé au palais de Carthage. Il a toujours cherché à créer des structures parallèles qui exploitent les initiatives des autres et cherchent à en exploiter les dividendes comme ce fut le cas pour le dialogue national lancé par l'Ugtt qu'il a essayé de récupérer en lançant son propre dialogue au palais Adhiafa mais sans parvenir à un résultat concret». Et le constituant du Parti des travailleurs d'ajouter : «Aujourd'hui, il fait la cour à tout le monde essayant de porter la casaque du président fédérateur qui rassemble autour de lui les différents belligérants en période de crise. En réalité, il cherche à se positionner sur la scène politique nationale après avoir compris qu'il ne fait plus partie des plans d'Ennahdha et après avoir découvert aussi que son parti, le CPR, n'a plus d'audience ou de poids lui permettant de postuler au statut d'une formation qui pourrait coaliser, à l'avenir, avec Ennahdha. Reste à savoir quelles seront ses positions à la fin de ce ballet de consultations sentant le réchauffé. Je suis convaincu qu'il saura, en homme pragmatique et sachant tirer profit des erreurs des uns et des autres, prendre la position qu'il estimera la plus intelligente et propre à lui assurer le rôle qu'il essaye encore de jouer sur la scène politique». Le fédérateur, malgré lui Un autre son de cloche auprès de Lazhar Baly, président du parti Al Amen qui tient à préciser que «les priorités nationales ont aujourd'hui changé de nature et même si à un certain moment nous avons soutenu la révocation de Marzouki, nous considérons maintenant que la situation par laquelle passe le pays exige une autre analyse et d'autres solutions». Lazhar Baly est, en effet, convaincu qu'en «cette période de tension et de crise, le président de la République est obligé, de par son devoir de garant de l'unité nationale, de prendre de telles initiatives et de ramener tous les protagonistes du paysage politique et civil à la table du dialogue, un dialogue qui doit s'ériger en dialogue permanent. C'est la raison pour laquelle nous avons appelé, au parti Al Amen, à la création d'une instance permanente de dialogue et de concertation qui sera dirigée par le chef de l'Etat. Nous estimons que le dialogue est la manière sublime de la pratique de la politique afin d'éviter que la politique ne s'installe dans la rue». Les efforts entrepris par Marzouki peuvent-ils faire oublier ses erreurs passées et lui confèrent-ils ce statut de président fédérateur qu'il ambitionne d'occuper ? Le président d'Al Amen précise: «En dépit des erreurs qu'il a commises depuis son élection, ses dernières positions contrastant profondément avec celles de son parti, le CPR, notamment son opposition à la fameuse loi sur l'immunisation de la révolution peuvent être considérées comme des positions d'un homme d'Etat qui a enfin compris que les intérêts nationaux doivent être placés au-dessus des intérêts partisans. Est-il le président fédérateur ou rassembleur ? La question reste posée dans l'attente des résultats. En tout état de cause, pour nous, le dialogue doit triompher puisque nous sommes condamnés à accepter nos différences et à faire prévaloir cette valeur suprême qu'est la citoyenneté». Un show ridicule Quant au constituant indépendant (dissident de Wafa), Naceur Brahmi, il estime «qu'aussi bien les consultations entreprises, tambour battant, par Marzouki que les travaux de la commission parlementaire des compromis constituent un show ridicule à travers lequel le président provisoire et Mustapha Ben Jaâfar cherchent à se positionner en prévision des prochaines élections. C'est un jeu électoraliste, partisan et traduisant des intérêts opportunistes. Ceux qui dialoguent à Carthage et principalement Ennahdha ne sont pas pour un véritable consensus. La Troïka, et Ennahdha à sa tête, a toujours prétendu chercher des consensus mais elle a toujours fini par imposer ses propres points de vue. Les exemples les plus frappants sont la petite Constitution, la formation des gouvernements Troïka I et Troïka II et le projet actuel de la Constitution». Pour ce qui est des tentatives de Marzouki de se présenter comme le président fédérateur dont les Tunisiens ont besoin quand le pays est en crise, Naceur Brahmi fait remarquer: «Les Tunisiens n'oublieront jamais ses déclarations insistant sur son alliance avec Ennahdha par le passé, au présent et pour le futur. Ils ne lui pardonneront pas également sa fameuse déclaration réduisant les sages de la Tunisie à Rached Ghannouchi, à Mustapha Ben Jaâfar et à lui-même».