Le remaniement ministériel tant attendu continue à susciter une foule de réactions aussi différentes les unes des autre. Chacune des parties concernées pose ses conditions et fait monter les enchères au maximum afin de voir ses positions et ses analyses admises. Hier soir, la coordination supérieure de la Troïka devait tenir une énième réunion (les rencontres ont lieu désormais tous les deux jours) en vue d'examiner les résultats des dernières concertations avec les partis politiques censés se joindre à l'équipe gouvernementale actuelle, d'une part, et pour décider, d'autre part, des noms des ministres qui seront remerciés, ainsi que de la forme du gouvernement à venir. La Presse a approché un certain nombre d'acteurs du paysage politique national appartenant à la Troïka au pouvoir, à l'opposition représentée au sein de l'ANC et à l'opposition n'ayant pas de sièges au palais du Bardo pour leur poser les deux questions suivantes : – Quel est le prix que la Troïka devrait payer pour que Néjib Chebbi et Al Joumhouri soient intégrés dans la prochaine équipe gouvernementale ? – Cette nouvelle entrée ne risque-t-elle pas de se faire aux dépens de l'une des composantes de la Troïka, à savoir le CPR ou Ettakatol. Non aux conditions préalables Pour Mohamed Bennour, porte-parole d'Ettakatol, «la consultation sur le remaniement du gouvernement ou son élargissement ne doit pas obéir à des conditions préalables. A Ettakatol, nous essayons de parvenir au consensus le plus large possible dans le sens de nos choix exprimés par le Dr Mustapha Ben Jaâfar dès octobre 2011 à la veille des élections, plus précisément lors de sa conférence de presse du 15 octobre 2011 dans laquelle il a appelé à un gouvernement d'intérêt national. Nous nous réjouissons que Néjib Chebbi ait rejoint aujourd'hui cette idée». Et Bennour de poursuivre : «Notre parti poursuit ses efforts dans ce sens et a déjà entamé des consultations avec des partis et des coalitions politiques. D'autre part, nous soutenons l'initiative de l'Ugtt et nous considérons qu'elle constitue le cadre idéal pour réaliser le consensus qui peut contribuer à assainir le climat politique, apaiser les tensions et favoriser un climat préélectoral rassurant. Quant aux réunions de la haute coordination de la Troïka, elles se tiennent désormais à un rythme accéléré mais rien n'a été décidé jusqu'ici puisque les consultations avec les autres parties se poursuivent toujours. On ne peut pas savoir les portefeuilles ministériels et les personnes qui vont rester. De même, on ne peut rien dire sur ceux qui vont intégrer le gouvernement pour les six mois à venir. De toute façon, aucune annonce n'est prévue pour les 48 heures à venir». La Troïka, bénéficiaire Quant à Naceur Brahmi, membre du bureau directeur du mouvement Wafa, il souligne : «Je crois que la Troïka a plus besoin de Néjib Chebbi et d'Al Joumhouri que Néjib Chebbi lui-même ou son parti. La Troïka est dans l'impasse et certains, en son sein, pensent que l'intégration d'Al Joumhouri serait une bouée d'oxygène. Par conséquent, au vu de ce qui reste de la deuxième étape transitoire, qui devrait être courte, cette intégration ne pourrait être qu'un décor. Cela servira-t-il mieux la Troïka ou Al Joumhouri ? La réponse est que la Troïka en sortirait bénéficiaire. Al Joumhouri aura-t-il la lucidité de déchiffrer cette énigme et ne pas accepter de participer au remaniement ? Au mouvement Wafa, on est conscient que participer ne permettra pas d'apporter des changements substantiels». Naceur Brahmi précise que son mouvement a été consulté pour une éventuelle entrée au prochain gouvernement, «mais notre participation est soumise aux conditions suivantes : d'abord, l'évaluation du rendement du gouvernement actuel qui est très en deçà des espérances. Il faut procéder aux révisions nécessaires des désignations aux postes de responsabilité à tous les échelons. Ensuite, la réponse aux attentes urgentes du peuple par la mise en place d'un programme pour résorber le chômage, alléger les souffrances dues à la cherté de la vie et enfin le démantèlement du système de la corruption et de toutes les forces d'oppression». «Le sentiment général dans notre parti, ajoute-t-il, est que la période est trop courte pour réformer et donner les signes positifs d'un vrai changement». Le compromis est inévitable Lazhar Baly, président du parti El Amen, est on ne peut plus clair et tranchant dans ses réponses : «Pour moi, c'est un problème de choix pour Ennahdha appelée, plus que jamais, à arrêter définitivement ses positions. Peut-elle continuer avec des figurants. Je pense que ce choix n'est plus possible dans la mesure où la société tunisienne refuse cette orientation et n'est pas prête à sacrifier ses acquis et son modèle sociétal. Donc, je vois qu'elle est dans l'obligation de composer avec ceux qui ne partagent pas sa vision. Elle doit fair preuve d'une volonté claire de tendre la main aux autres dans un souci de les responsabiliser et d'en faire de véritables partenaires». «A El Amen, tient-il à préciser, nous ne sommes pas disposés à constituer un satellite de ce parti qui veut donner l'impression qu'il est en train de conduire une opération participative. Avec d'autres partis, nous avons posé une seule condition : il faut associer des partis qui n'ont pas la même vision qu'Ennahdha, à l'instar d'Al Joumhouri ou Al Massar». Comment réagit-il aux conditions posées par Néjib Chebbi ? «Chaque coalition ne peut être que la résultante d'un compromis. Il est donc normal que Néjib Chebbi avance ses conditions et c'est à Ennahdha de trouver le compromis qui est inévitable». Lazhar Baly conclut en soulignant la nécessité de parvenir à «un équilibre global dans lequel tout le monde est appelé à faire des concessions, y compris le CPR et Al Joumhouri. C'est le sens même de tout consensus. L'essentiel pour nous reste de se rapprocher de l'autre et d'avoir la volonté de le faire». Une participation inopportune De son côté, Riadh Ben Fadhl, coordinateur général d'Al Qotb, considère que «le débat sur le remaniement ministériel ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt. La stratégie de l'enfumage concernnant l'arlésienne qu'est le remaniement ministériel dont nous parlons depuis près de 7 mois, suite au congrès d'Ennahdha, ne doit pas nous faire oublier que la plupart des objectifs de la révolution sont loin d'avoir été accomplis. Il y a un échec patent de l'action gouvernementale mais également de l'opposition et de manière générale de toute la classe politique qui n'est pas à la hauteur des ambitions et objectifs de notre révolution». Il ajoute encore : «Avant d'aborder la question du remaniement, il s'agit avant tout de définir la plateforme d'un consensus minimal sur laquelle une équipe gouvernementale renouvelée peut opérer. Or, à notre avis, à cette date ce consensus minimal sur les principes et valeurs de la République et sur le caractère civil de l'Etat n'existent pas. Le gouvernement actuel doit présenter une feuille de route indiquant le calendrier de la mise en place des institutions-clés nécessaires à la réussite de la transition démocratique pour que le calendrier électoral soit clairement arrêté et adopté. C'est sur cette base que l'on peut envisager la mise en place d'une large coaltion d'intérêt national dont le cahier des charges doit être extrêmement précis et contraignant en termes d'objectifs et de dates». «Quant aux conditions de Néjib Chebbi et au vu d'un contexte opaque, je considère que la participation de mon grand frère Néjib au prochain gouvernement n'est pas opportune alors que le camp démocratique progressiste et républicain est en phase de recomposition et de débat stratégique».