Dans Hamlet de la fin des temps, au souffle tunisien par excellence, Mohamed Sayari, Farhat Jdidi et Jamal Laroui ont assuré avec brio et la mise en scène et l'interprétation. Cette saison aura été marquée par un foisonnement d'adaptations libres et de réadaptations des pièces de théâtre de William Shakespeare. Le trio Mohamed Sayari, Farhat Jdidi et Jamal Laroui se sont, eux aussi, penchés sur l'œuvre du plus célèbre des auteurs britanniques, reprenant et réécrivant autrement la tragique histoire de Hamlet, prince du Danemark, à travers une pièce qui s'intitule Hamlet akher zman (Hamlet de la fin des temps). Cette œuvre théâtrale de Shakespeare, qui a été l'objet d'investigations et d'analyses littéraires, psychanalytiques, philosophiques..., est devenue avant-hier, dans le théâtre de Boukornine, une pièce dont le genre théâtral est purement expérimental. La recherche et l'«essai» y sont dominants et transgressent subséquemment les règles de la représentation théâtrale. On voit un Hamlet qui s'engloutit dans les méandres de la folie, cherchant à venger son père. On guette petit à petit un personnage qui simule la folie, mimant un bouffon désirant lever le rideau sur la vérité brute où chaque personnage joue sournoisement un rôle derrière lequel il se cache. Hamlet se montre insipide, dérouté et habité par ses interrogations interminables. D'ailleurs, les fantômes des corps, de la pensée et du cœur surplombent la vision du héros. Emmuré par les fenêtres qui l'endiguent de partout, Hamlet se sent aliéné. La symbolique de la fenêtre, tantôt fermée, tantôt ouverte, est intéressante dans la mesure où elle représente une réelle frontière pour cet anti-héros : elle le fait tituber entre l'intérieur, c'est-à-dire ses obsessions, le désir de revanche, le doute, et l'extérieur dans son rapport avec le monde et l'existence. Les volets des fenêtres sont omniprésents, ils créent un effet d'ombre à tout ce qui entoure le personnage. Entre les fenêtres de l'âme et les fenêtres penchées sur le monde, Hamlet est le seul personnage sur scène vêtu de noir. Au blanc pur des autres personnages, Hamlet se trouve dans une dualité qui le déchire : entre le bien et le mal, entre le blanc et le noir, s'installe l'idée du manichéisme. Cependant, le personnage crie la volonté de modérer, du moment que le juste milieu créé l'harmonie. Dans ce décor blanc, on discerne de gros cubes qui servent de coulisses aux marionnettes. Celles-ci représentent les personnages qui entourent le Hamlet de tous les temps : le père, la mère. La symbolique ici est très frappante; elle concerne l'univers psychanalytique de tout être humain. Ces marionnettes et ces masques dévoilent la vraie identité du personnage. Ce dernier prétend être Hamlet, se complète dans cette identification, et se cache dans la peau du héros : être ou ne pas être Hamlet, ce n'est plus la question! Puisque l'illusion de l'être importe peu, puisque la fable des autres est intermittente, puisque l'enfer c'est les autres, puisque les afflictions de l'autre appartiennent à un seul cœur, celui du cœur humain. Dans cette pièce de théâtre où le fou du peuple et aussi le fou de Hamlet cherchent à re-brosser le portrait du héros en disant tout haut qu' «il y a un autre Hamlet à venir», le personnage rebrousse chemin quand justement le narrateur (interprété par Mohamed Sayari) le persuade de son éternité car Hamlet est en chacun de nous, il existe partout. Ses questionnements existentiels qui nous habitent, nous persécutent parfois,0 sont inhérents à notre déambulation dans la vie; ils nous guident, nous déçoivent et nous élèvent à un envol vers la fin des temps, vers la fin des désillusions. Dans son Hamlet, William Shakespeare nous persuade que «nous savons ce que nous sommes, mais nous ne savons pas ce que nous pouvons être». Voilà tout le drame de l'être.