Le ministère de l'Intérieur est au cœur de la tourmente que vit le pays. Des accusations répétées et des sources sérieuses font état de l'infiltration de ce département régalien. L'ex-ministre de l'Intérieur Ali Laâreyedh, actuel chef du gouvernement, est accusé de manière chronique d'avoir placé des hommes proches à la tête de services sensibles. Le piétinement de l'enquête sur l'assassinat de Chokri Belaïd, le second meurtre politique — celui du député Mohamed Brahmi —, l'impunité dont bénéficient des groupuscules violents, et enfin l'usage de la violence disproportionnée à l'encontre des sit-inneurs du Bardo, sont présentés comme des éléments à charge pour conforter une accusation selon laquelle un appareil sécuritaire parallèle agit et donne des ordres aux unités chargées des enquêtes et des interventions sur terrain, sans même aviser la hiérarchie, le ministre en l'occurrence. Des accusations graves sont relayées par les médias et sur les plateaux de télé à des heures de grande écoute visant certains inspecteurs et directeurs généraux, sans qu'il y ait le moindre démenti officiel. Des listes circulent sur les réseaux sociaux avec presque toujours les mêmes noms qui reviennent, accusés d'exécuter les ordres du parti islamiste au pouvoir et non pas de servir les intérêts nationaux. Invité à témoigner, le journaliste Maher Zid a révélé à une radio privée ce qu'il avait considéré comme des failles dans l'enquête sur l'assassinat des deux leaders de l'opposition Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. En ajoutant que le ministre de l'Intérieur, interrogé lors de la conférence de presse sur le changement du chef du district de la Cité Ghazala, zone où habitait feu Mohamed Brahmi, a déclaré, franchement, ne pas être au courant de ce changement. Usage disproportionné de la force Par ailleurs, des accusations de même nature sont proférées par des éléments des forces de l'ordre eux-mêmes. Dans des déclarations, le porte-parole du syndicat des unités d'intervention, Mehdi Bechaouch, a fait part de sa surprise et de son incompréhension quant aux méthodes répressives visant les sit-inneurs du Bardo ; pour ne pas cacher ses doutes, sur la provenance et la teneur des instructions données à ses collègues. En jugeant, en outre, que «la situation ne nécessitait pas autant de violence ». Le même syndicat a demandé, dans des déclarations réitérées, le changement de certains hauts cadres du ministère. La nuit de samedi à dimanche, à une heure tardive, les protestataires rassemblés aux abords de l'ANC et quelques députés se sont vus violemment attaqués ; une première fois par les groupes se disant soutenir la légalité, et une seconde fois par les unités de police sur place, selon des témoignages concordants. Les deux députés, en situation de retrait, Samir Ettaieb et Khemais Kssila ont rencontré dimanche le ministre de l'Intérieur en fin de matinée pour protester et faire part de leur intention de poursuivre leur sit-in. Selon les déclarations données au sortir de l'entretien, le ministre de l'Intérieur aurait donné l'ordre écrit à ses services d'assurer la protection des sit-inneurs et des élus du peuple. Seulement voilà, quelques heures après, un communiqué publié sur la page officielle du ministère invite un des deux groupes à se retirer du Bardo, pour aller s'installer ailleurs. En précisant l'incapacité des forces à assurer la sécurité des deux clans adverses. De son côté, le Syndicat de la Garde nationale a lancé un avertissement selon lequel le plan sécuritaire adopté par le Ministère n'est ni suffisant ni adéquat à la situation actuelle. Des actes terroristes pourraient se produire dans les prochains jours dans divers lieux publics, prévient encore le communiqué. Les moyens de transport et certaines structures de l'Etat et lieux publics pourraient être visés par des actes terroristes. D'autres indices sont présentés par les accusateurs : le ministre Lotfi Ben Jeddou a été informé par un journaliste du meurtre de Mohamed Brahmi. La manière dont l'enquête concernant l'assassinat de Chokri Belaïd a été menée a suscité également de nombreuses interrogations. La situation est grave, les Tunisiens en sont conscients. Mais ce qui est encore plus grave et démoralisant, c'est de croire, à tort ou à raison, que le ministère chargé de la République et de la protection des citoyens ne soit plus à l'abri des tiraillements politiques. Au mieux, c'est un problème de confiance en une structure essentielle du pays. Au pire... mais on n'ose même pas y penser. Car dans ce cas, la police est censée nous protéger; qui nous protègera de la police ?