La cité étouffe : un assassinat politique, une saisie d'armes, une concentration d'activistes jihadistes, une montagne (Ennahli) pleine de risques et un nouveau locataire de marque (Rached Ghannouchi). Que d'incertitudes pour l'avenir de la cité ! En l'espace d'une huitaine, la cité Ghazala, située à deux pas de la ville de l'Ariana et de l'aéroport Tunis-Carthage, a été secouée par deux fracas des plus retentissants et spectaculaires, à savoir la saisie d'armes dans une villa suivie une petite semaine plus tard par l'assassinat politique de Mohamed Brahmi. Du jamais vu dans l'histoire d'une cité connue, depuis sa poussée dans les années 80, pour son environnement paisible, son emplacement romantique au bas du mont Ennahli et son enviable standing de quartier résidentiel. Une véritable cité dortoir par excellence où les superbes villas rivalisent de luxe sulfureux. Questions inévitables : comment les temps ont changé si brutalement pour la cité ? Pourquoi l'oasis de paix l'a cédé aux foyers de tensions ? La purge Ben Ali Historiquement, il est bon de rappeler particulièrement à tous ceux qui ont la mémoire courte, que la cité Ghazala n'est pas à ses premières dents de lait avec le terrorisme, quand on sait qu'elle avait fait l'objet, sous Ben Ali, d'une purge d'une rare atrocité, avec notamment l'arrestation dans les années 90, d'une dizaine de jihadistes cueillis coup sur coup chez eux au terme de plusieurs descentes policières des plus musclées. A l'époque, les personnes interpellées, des étudiants dans leur majorité, n'avaient en leur possession ni armes, ni explosifs, ni encore plans d'action en bonne et due forme. C'est que, au temps de l'ancien régime policier, il suffisait de réunir des informations de soupçons sur le mouvement d'un simple habitué des mosquées et de la fameuse prière du Fajr, pour ordonner illico presto la descente et arrêter ensuite le présumé accusé. L'art de l'anticipation, quoi ! Une arme à double tranchant qui n'a plus, hélas, la... cote, de nos jours, dans les modus operandi du ministère de l'Intérieur. D'ailleurs, ce n'est pas un hasard si des contingents d'intégristes emprisonnés sous l'ancien régime ont été bizarrement perdus de vue depuis leur libération au lendemain de la révolution. Une aubaine en or qu'ils ont tôt fait de mettre à profit, en retrouvant dare dare leurs anciens quartiers à la même cité. Là où ils se sont mis à se réorganiser, tout en s'offrant une étonnante latitude de renforcer leurs effectifs dans un extraordinaire élan mobilisateur. Ainsi, pour avoir, pour une raison ou pour une autre omis de retenir la leçon du passé, l'Etat a favorisé aujourd'hui la réapparition de la communauté jihadiste à la cité Ghazala. Le plus grave est que cette communauté ne cesse de gagner du terrain, au point d'avoir pour voisin... feu Mohamed Brahmi ! Acquis à la cause d'Ansar Charia, les jeunes salafistes de la cité sont aujourd'hui curieusement omniprésents, voire envahissants aussi bien dans les cafés et les établissements commerciaux que bien entendu dans la grande mosquée du quartier qu'ils ont transformée, il y a plus d'un an, en chasse gardée hermétiquement fermée et que plus personne ne leur dispute ! La radicalisation est d'ailleurs telle que les ramifications de ce groupuscule ont fini par... contaminer des cités voisines (Jaâfar I et II, Sidi Amor, Borj Touil, Raoued, Al Hissiane, Bouhnech, etc.). Pour les beaux yeux du cheikh L'islamisation rampante de la cité Ghazala a atteint son point culminant, avec l'arrivée, l'année dernière, d'un nouveau locataire de marque, en l'occurrence l'homme fort d'Ennahdha, Rached Ghannouchi. Celui-ci s'amena... en fanfare, dans une belle résidence qui sera depuis surveillée, 24 heures sur 24, par des policiers en uniforme et en civil. Paradoxalement, l'assassinat de Mohamed Brahmi a été perpétré...à deux pas du domicile du cheikh, soit plus précisément, au bas du mont Ennahli qui pourrait avoir servi de refuge aux terroristes. Ras-le-bol Pour les vieux habitants de ladite cité, la succession fulgurante des derniers événements dramatiques a sonné comme un ras-le-bol. «Non, les temps sont révolus où on se la coulait douce ici», déplore, visiblement abattue, une habitante du quartier. «Y en a marre de la politique et de tous les politiciens qui nous ont rendu la vie impossible», s'indigne son voisin qui pense déjà à déménager en quête d'un lieu sûr et d'horizons moins sombres. Capri, pardon, cité Ghazala, c'est fini ?