Le rideau de la 49e édition du Festival international de Carthage est tombé, mercredi dernier, sur une édition exceptionnelle. L'on peut affirmer tout de même que malgré les quelques spectacles qui ont été annulés ou reportés, chaque Tunisien a pu trouver son compte dans cette session pour le moins éclectique. Du cinéma pour la soirée de clôture. De l'inédit à Carthage, mais il faut dire que cela a été dicté par les différents reports et que ce sont les Turcs de Fire of Anatolia qui ont donné, samedi dernier, le spectacle final de cette 49e édition. Un public respectable était venu découvrir en première le deuxième long métrage du réalisateur tunisien Ibrahim Ltaïef «Hez ya wez» («Affreux, cupides et stupides», en version française). Ce dernier titre renvoie au cultissime film « «Affreux, sales et méchants» de l'italien Ettore Scola à qui Ltaïef rend visiblement hommage ainsi qu'à tout le cinéma italien, comme il l'a déjà fait dans son premier long métrage «Cinecittà». Une pléiade de comédiens à l'affiche de cette comédie, à l'instar de Ahmed Hefiane qui campe le rôle d'un flic ou «cops» ripou, Sawsen Maâlej qui était plutôt convaincante et drôle dans le rôle d'une mordue d'Elvis Presley, Foued Litayem qui joue le personnage d'un escroc malchanceux, Taoufik El Ayeb dans la peau d'un gangster qui se cache sous la barbe d'un extrémiste religieux et tutti quanti. Outre l'allusion à l'esthétique italienne, le réalisateur a usé et abusé d'allusions et de sous-entendus dans son opus, nous renvoyant, souvent en invoquant des blagues et des jeux de mots un peu trop faciles, à la situation politique et sociale du pays. Ainsi dans un décor et ambiance plutôt intemporels déchirés entre les années 70 ( certains costumes et accessoires), le présent et un autre temps fictif, le propos du réalisateur se voulait inscrit dans l'actualité tunisienne, dans le post 14 janvier et ses affres. Sur fond d'un jeu de poursuite entre chat et souris où les rôles finissent des fois par être inversés, il met en scène les différents protagonistes de l'actuelle société tunisienne: le bon à l'allure d'un flic pourri, le truand raté, le méchant représenté ici par le chef de la bande de salafistes, un personnage pervers et vicieux, mais il y a également le chasseur libyen des bonnes affaires, la clodo, la starlette abusée et l'excentrique. Tous courent derrière la même chose, le pactole de la Star Academy, une flagrante allégorie de la révolution tunisienne. Les plus chanceux et malins finiront par avoir leur part du gâteau après de longues poursuites ponctuées par des répliques et jeux de mots puisés dans une conscience et terminologie collectives. On a eu droit à une sorte d'inventaire des répliques phare de l'année, des doigts maculés de bleu emblème des gangsters-salafistes, des jeux de mots sur les femmes démocrates, sur les femmes portant le niqab, sur le prestige de l'Etat et d'autres encore. A trop vouloir tout balancer, la forme (surchargée!) a fini par prendre un sale coup, à faire dans le décousu (non le décalé) et dans le non-propos. En effet, on déplore les décors qui ont manqué de dynamisme, surtout les extérieurs, quelques plans et personnages superflus qui n'ajoutent rien au propos, bien au contraire, à l'instar de la scène du cinéma (El Hamra), sans doute un plaisir que s'est offert le réalisateur en se faisant un auto clin d'œil à la manière de Tarantino! En somme, dans «Hez ya Wez», la narration qui se voulait, visiblement, décalée a fini par faire dans une sorte de pêle-mêle insensé et hormis les allusions très au premier degré à la cité, au rapport avec le démiurge, etc, on n'a fait que tourner en rond se perdant dans les excellents morceaux de la BO dont la majorité est signée par Zied Hamdane. Pourtant, quelques profils et personnages étaient intéressants et auraient pu être mieux travaillés. Il faut tout de même dire que le film a arraché de grands rires à certains présents qui ont sans soude apprécié cette radiographie de la révolution, l'humour et le franc-parler du film. Voilà c'est sur ces notes et sous la bienveillance d'une lune éclatante que Carthage a laissé tomber son rideau, en attendant la prochaine édition que l'on espère de la même, sinon de meilleure qualité et, surtout, dans une Tunisie sans deuil et sans taches de sang.