Damant le pion à tout le monde, y compris à son propre parti Ennahdha, Ali Laârayedh propose que Marzouki dirige le dialogue national et qu'un gouvernement d'élections s'installe à La Kasbah à la fin du dialogue Ali Laârayedh joue-t-il le rôle du rebelle au sein même de son parti Ennahdha ? La feuille de route qu'il a proposée, hier dont la principale nouveauté est de confier la direction du dialogue national à la présidence de la République, n'est-elle pas en contradiction avec les positions exprimées par Ennahdha considérant l'initiative de l'Ugtt comme la plateforme sur laquelle se basera le dialogue national tant attendu ? Autant de questions suscitées par les déclarations livrées par le chef du gouvernement lors de la conférence de presse qu'il a donnée hier matin. La décision de classer l'organisation «Ansar Echaria» comme une organisation terroriste a provoqué également diverses réactions. Certains estiment que c'est à la justice que revient le droit de prendre une telle décision. D'autres pensent que c'est là une mesure qui «permettra de renforcer la traque des terroristes dans la mesure où les efforts de la Tunisie seront soutenus par le mouvement international de lutte contre le terrorisme». Laârayedh torpille tout Abdessattar Ben Moussa, président de la Ligue tunisienne de défense des droits de l'Homme (Ltdh), tient à préciser que l'initiative du dialogue national n'est pas l'apanage exclusif de l'Ugtt mais bien une initiative nationale dont la paternité revient à la centrale syndicale ouvrière, à la Ltdh, au conseil de l'Ordre des avocats et à l'Utica. «Pour moi, les déclarations de Laârayedh constituent un déni manifeste de cette initiative nationale au moment même où Ennahdha a accepté d'y adhérer. J'ai le sentiment que le chef du gouvernement a compris qu'Ennahdha va le lâcher et il s'attache à son poste pour des raisons diverses dont peut-être le fait qu'il redoute de rendre certains comptes au cas où le gouvernement actuel présenterait sa démission. Quant à sa proposition de confier la direction du dialogue national à la présidence de la République, je trouve qu'elle n'a pas de sens dans la mesure où même Ghannouchi a appelé à ce que Moncef Marzouki démissionne s'il a l'intention de se présenter aux prochaines élections», ajoute-t-il. Du nouveau au niveau des organisations pilotant les concertations tenues jusqu'ici. «Nous avons décidé qu'à partir d'aujourd'hui 28 août, Abbassi ne rencontrera plus seul les différents protagonistes de la crise. Ce matin, les représentants du Front du salut national seront reçus par les quatre parrains du dialogue national. Demain, nous rencontrerons les représentants de la Troïka afin de décider de la fixation de la date du démarrage du dialogue national. Toutes nos prochaines rencontres seront sanctionnées par des communiqués communs qui engageront les négociateurs des deux camps. Notre objectif est d'éviter les déclarations et les contre-déclarations des uns et des autres et la confusion auprès de l'opinion publique et même des médias internationaux», relève-t-il. Une hérésie à la tunisienne Mohamed Abbou, secrétaire général du Courant démocratique, considère que certains concepts répercutés aussi bien par le gouvernement que par l'opposition frisent le ridicule. «Ainsi, le terme gouvernement d'élections constitue une hérésie à la tunisienne. Elle ne fait partie d'aucun mécanisme relevant de la culture démocratique universelle sur laquelle nous avons été éduqués depuis notre prime jeunesse», indique-t-il. Notre interlocuteur est convaincu que «la mise en place de structures et de mécanismes qui fonctionnent réellement pour le contrôle effectif de l'action du gouvernement est plus importante et plus productive que le changement des ministres. Malheureusement, aussi bien Ennahdha que les partis de l'opposition n'adhèrent pas à cette approche. Les désignations douteuses doivent être révisées. Mais l'essentiel c'est bien de contrôler le financement des partis politiques car l'argent politique menace d'introvertir sérieusement l'opération politique de fond en comble». «Au Courant démocratique, poursuit-il, nous considérons qu'il n'est pas décisif de savoir que c'est Marzouki qui animera le dialogue national comme l'a suggéré Laârayedh ou si c'est l'Ugtt qui aura à le faire. L'essentiel, c'est le contenu de ce dialogue. Il est aussi impératif que ce dialogue ne migre pas vers la rue». Pour ce qui est de la classification d'Ansar Echaria comme organisation terroriste, Abou précise que «beaucoup de gouvernements dans le monde ont déjà pris une telle décision. Le mérite de cette mesure, c'est qu'elle permet de renforcer le soutien international à la Tunisie dans sa lutte contre le terrorisme. Seulement, cette décision n'est pas contraignante pour la justice qui ne tranche qu'à partir des dossiers qu'elle a à sa disposition». Un discours antidémocratique «Un discours décevant, et en deçà des attentes, outre le fait qu'il s'attaque frontalement à l'Ugtt. Laârayedh va jusqu'à vouloir confisquer aux Tunisiens leur droit de contester l'action de son gouvernement». Sami Tahri, porte-parole de l'Ugtt, ne mâche pas ses mots pour répondre aux déclarations d'Ali Laârayedh. «Sa feuille de route est totalement inacceptable. S'agit-il d'une nouvelle manœuvre d'Ennahdha ou de l'entêtement d'un homme politique qui a compris que son parti est en train de le lâcher», rouspète-t-il. Quant à demander que Marzouki dirige le dialogue national, «c'est une proposition inacceptable puisque le président de la République provisoire est partie prenante dans la crise et il ne peut être neutre. Plus encore, même Ghannouchi, président d'Ennahdha, lui a demandé de démissionner s'il compte se présenter aux prochaines élections». A la question d'apprécier la décision de déclarer Ansar Echaria organisation terroriste, Sami Tahri estime que c'est «une décision qui intervient tardivement. Maintenant, il faut savoir si le gouvernement a pris les dispositions qu'il faut avant de dévoiler sa décision. A-t-il localisé définitivement où se cachent les éléments appartenant à cette organisation ? Comment va-t-il faire face à leurs réactions ? Ces questions restent sans réponse».