Une justice sans discernement verse facilement dans l'excès, et prendre pour diffamatoires des propos appelant, à la résistance aux pressions Mesdames, messieurs les magistrats, vous ne pouvez oublier que vous êtes des humains. D'ailleurs, parce que vous êtes des humains, et que le propre des humains est de faillir, le système judiciaire a prévu, partout dans le monde, le pourvoi en appel et en cassation, le renvoi des affaires devant des cours, autrement constituées... Mais vous demeurez, malgré tout, le recours — le dernier — du citoyen, simple ou haut placé, plaignant ou accusé, représentant de l'exécutif ou du législatif. Et c'est de l'adhésion de la société au principe que vous représentez le 3e pouvoir (le plus important, à coup sûr, dans une démocratie), que vous tirez votre aura, votre pouvoir et la légitimité de vos décisions et jugements. Sans elle, tout ce que vous décrétez resterait lettre morte, car c'est son exécutif qui instruit les affaires qui vous sont soumises et qui applique vos sentences. Mesdames et messieurs les magistrats, si vous êtes placés par votre société au-dessus de tous, y compris le législatif dont les textes vous servent de repères sacrés, vous n'êtes pas au-dessus des droits du citoyen, encore moins de la loi et surtout pas du devoir de rendre des comptes. Vous êtes des humains. Disposer de la liberté — de la vie même — de vos concitoyens est une lourde responsabilité que votre société vous confie et que vous ne pouvez assumer que dans l'indépendance, sans interférence ni hargne et en votre âme et conscience. Et comme vous êtes des humains et que les erreurs judiciaires font légion dans l'histoire universelle de la magistrature, il n'est point besoin de crier au lèse-majesté, ni de verser dans le corporatisme, quand on attire votre attention sur des affaires équivoques, floues ou douteuses. Mesdames, messieurs les magistrats, ce n'est pas à nous de rappeler que le pays passe par une phase critique, où la division, sinon la fracture, est illustrée grandeur nature par des procès et des contre-procès, des accusations mutuelles de part et d'autre. Un climat où la justice est appelée à montrer qu'elle est au-dessus de la mêlée et que, pour elle, il n'y a pas de deux mesures pour deux poids... même lorsque l'un des siens est au centre d'une polémique, à tort ou à raison, le corporatisme étant l'ennemi juré de la démocratie. Au lieu de dénoncer, décrier, multiplier les mandats d'arrêt, notamment dans les affaires politiques, et s'autodéclarer tous blancs comme neige, quand on leur soumet un document qui contredit les déclarations de l'un des leurs (affaire Zied El Héni) ou lorsqu'on s'étonne que des terroristes aient été relaxés, ils devraient faire preuve de sérénité, tranquilliser la société en écoutant les voix qui s'élèvent, vérifier le bien-fondé des allégations et ne pas réagir en bloc. Mesdames et messieurs les magistrats, vous êtes des humains... Une justice sans discernement verse facilement dans l'excès, peut se tromper de cible et prendre pour diffamatoires des propos appelant à la révision des positions, à la résistance aux pressions et à l'obligation d'humilité face à sa société. La perfection est une utopie en laquelle on veut croire et à laquelle on aspirera toujours. C'est là le propre des humains. Mesdames et messieurs les magistrats le sont.