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«Vox populi, vox dei » « Décrétez un référendum, M. le président et laissez le peuple choisir » Question de l'heure - « Le gouvernement face au Conseil de la Protection de la Révolution »
Interview de Maître Karim Missaoui - Malgré la chute de l'ancien président, la rue continue de gronder. La révolution ne s'essouffle point, mais bien au contraire elle persiste. On a fissuré un régime, mais nous l'avions point déboulonné, clament les milliers de manifestants et protestataires à la Kasbah et dans les villes tunisiennes. Une crise de confiance existe aujourd'hui entre le peuple et le gouvernement. Nombreux sont les citoyens et hommes de loi qui contestent la légitimité du gouvernement transitoire. Nombreux sont ceux également qui vont jusqu'à « douter de sa bonne foi ». D'un autre côté, une solution est présentée : le conseil de la protection de la révolution ; or, il paraît aussi qu'elle ne peut être la solution « démocratique » à la crise politique en Tunisie. Maître Karim Missaoui, avocat à la cour de cassation et ex-avocat au barreau de Paris, nous présente dans ce cadre les lacunes du gouvernement, le problème qui se pose au niveau du conseil de la protection de la révolution et la solution qui pourrait être la plus indiquée sur le plan juridico-politique de la crise. « Comme tout Tunisien de toute classe sociale, j'ai longtemps vécu sans le statut de citoyenneté. Avec cette révolution, ce statut a été retrouvé et l'on ne peut être insensible à ce mouvement historique », nous confie-t-il… Le Temps: Quelle est la situation du gouvernement actuel ? Karim Missaoui: Le peuple tunisien a l'impression depuis le 14 janvier d'être dans un bus qui dérape, ou encore un navire qui ne sait pas où se diriger. Il existe un désarroi et une appréhension de l'avenir. Les causes sont l'utilisation du gouvernement des articles 56 et puis 57 qui a traduit une confusion au niveau du sommet de l'Etat. Un désordre dans l'esprit des citoyens a alors été suscité. La continuité de Mohamed Ghannouchi comme Premier ministre est vécue, à tort ou à raison, dans la psychologie du peuple comme une continuité de l'ancien régime. La composition du premier gouvernement a ensuite été vécue comme un affront à la population et à leur révolution. La composition d'un deuxième régime sous pression populaire puis la nomination des gouverneurs ont constitué une continuité de la confusion et qui ont nourri la crainte et l'inquiétude populaires. Existe-t-il donc une coupure, aujourd'hui, entre le peuple et le gouvernement ? En effet, ceux qui manifestent encore ont l'impression que Mohamed Ghannouchi ne les a pas compris et ne qualifie point les évènements de la même façon. La « Révolution » est par ailleurs reconnue sur le bout des lèvres et dans les actions et la réalité, elle se présente plutôt comme une révolte. La révolution dans sa définition est la remise en cause d'un ancien régime et son remplacement par un nouveau. Or bien que le régime ait été mis en cause, il n'a point été remplacé dans la perception de la rue. Ainsi la Révolution n'a pas encore trouvé une traduction concrète et surtout juridique dans le nouveau paysage institutionnel et sociopolitique tunisien. Le conseil de la protection de la Révolution peut-il alors être la solution ? Le conseil en soi est une réaction à un état de l'incertitude et de l'inquiétude qui existent aujourd'hui. Néanmoins et malgré l'indéniable fait qu'un bon nombre des membres du conseil aient joué un rôle fondamental dans la Révolution, comme l'UGTT et les avocats, il existe plusieurs lacunes dans ce conseil. D'un côté, il manque de légitimité démocratique car il n'est pas issu des urnes dans le cadre d'élections. D'un autre côté, et d'après les attributs du conseil, ce dernier s'attribue le pouvoir législatif. Il veut également tenir les rênes du pouvoir exécutif, tout en ayant aussi en son sein l'association des magistrats, et donc le pouvoir judiciaire. Ce conseil se présente alors comme un concentré des tous les pouvoirs qui devraient être normalement indépendants les uns des autres. Il s'est élevé contre la dictature, mais s'habille aujourd'hui de l'habit d'un nouvel organe dictateur. Il existe aussi dans cet organe des organisations qui ne devraient pas théoriquement, déontologiquement et symboliquement en faire partie. C'est le cas de l'association des magistrats, qui ne pourrait siéger à côté de partis et leaders politiques qui ont des ambitions et des positions politiques également, car les magistrats devraient rester indépendants de toute considération d'ordre politique et symbolisent normalement la droiture et la neutralité et n'ont pas à être du côté de tel ou tel parti. Cela crée une confusion des genres, du moins dans la dimension du symbolique, or la Révolution se nourrit de symboles. Qu'en est-il des sensibilités existantes dans le conseil ? Justement, cela fait aussi partie des déficiences du conseil dont les membres appartiennent à différentes sensibilités politiques tout en entretenant des ambitions politiques tellement disparates et différentes qu'il a fort à parier une très forte contradiction entre elle dans pouvant entraver une réelle collaboration. Comment imaginer un parti islamiste comme Nahdha se mettre d'accord dans la prise de décision avec l'idéologie gauchiste d'un certain nombre de partis et membres de cette coalition ? Quelle peut-être alors la solution ? Ni le paysage politique à travers son gouvernement ni la constitution de l'ancien régime ne peuvent apporter la sérénité et la stabilité nécessaires pendant cette période transitoire dans laquelle doit se construire l'avenir de la Tunisie lequel devrait être réfléchi et arrêté. Le conseil de la protection de la révolution quant à lui n'est pas une solution démocratique, sa démarche étant fort discutable, voire contestable. Il existe néanmoins une troisième solution, qui est celle de la sagesse et du respect des valeurs de la Révolution, qui doivent par ailleurs être véhiculées et respectées dans l'intérêt supérieur et sacré de la nation. Il faut ainsi déclencher, le plus tôt possible le processus juridico-politique en partant d'un état de fait, qui est la Révolution dans le but de la satisfaction des valeurs de cette révolution. Le président par intérim doit saisir cette opportunité historique et sa personne s'en trouvera grandie en faisant une déclaration solennelle au peuple tunisien pour reconnaître qu'on vit bel et bien depuis le 14 janvier une Révolution historique et qu'il faut en tirer toutes les conséquences juridiques et politico-institutionnelles pour que cette révolution, ayant libéré les citoyens de l'ancien régime puisse être traduite concrètement dans les institutions de notre future Tunisie et l‘actuelle Constitution doit désormais faire place à la nouvelle situation. Foued Mebazâa devrait annoncer qu'il va consulter le peuple sans intermédiaire et dans le cadre d'un référendum populaire pour lui permettre d'exprimer ses exigences et aspirations quant à l'architecture institutionnelle. Quels seraient les sujets du référendum ? Il est essentiel de demander aux citoyens s'ils sont consentants ou pas pour la dissolution du parlement et de la chambre des conseillers actuels, pour l'élection au suffrage universel des membres d'une future assemblée constituante et pour la création d'un nouveau gouvernement provisoire d'union nationale, qui aura pour unique tâche de gérer les affaires courantes et qui sera issu de la nouvelle configuration politique dont sera composée l'assemblée constituante, elle-même issue du suffrage universel. Ce référendum donnera également l'occasion aux citoyens tunisiens de s'exprimer sur l'attribution à cette assemblée constituante, en plus de sa mission de préparer une future constitution, les fonctions d'une assemblée nationale législative et s'ils sont d'accord ou pas que les élus de l'assemblée constituante puissent, au plus tard dans un délai d'une année, se prononcer, par le biais d'un vote à la majorité absolue, sur l'adoption d'une future constitution ou s'ils préfèrent que cette assemblée constituante soumette à l'approbation du peuple, dans le cadre d'un référendum, plusieurs projets de la future constitution. Le peuple aura aussi l'occasion de se déclarer pour ou contre la confusion provisoire de la fonction du futur Premier ministre provisoire avec celle de président de la république provisoire ou préféreriez-vous l'élection, à la majorité absolue de l'assemblée constituante, de trois personnages de la société civile qui siègeront dans un organe exécutif collégial comme autorité morale. Comment pourraient-être les élections de la future assemblée constituante ? Pour être exhaustif, la tenue des élections de la future assemblée constituante, qui peuvent se dérouler dans un délai de deux mois, devra se faire dans le cadre d'un mode de scrutin uninominal respectant une représentation proportionnelle de l'ensemble du pays. En effet, il faut absolument que la future assemblée constituante et le futur gouvernement provisoire puissent représenter une véritable mosaïque des différentes sensibilités sociopolitiques du pays. D'ailleurs, les futurs membres du gouvernement provisoire doivent au préalable obtenir l'approbation de l'assemblée. Quant aux candidats à l'élection à l'assemblée constituante, on pourra, par exemple, imaginer l'instauration d'une condition de parrainage d'un certain nombre de citoyens (par exemple 300 signatures de parrainage) pour que l'on puisse se présenter pour ces élections. Ainsi, cette structure aura donné toute sa parole au peuple ? En effet, on aura donné la parole au peuple, celui qui a fait cette Révolution. Ne l'oublions jamais, la souveraineté appartient au peuple. Les Romains disaient : vox populi vox dei. De même, nous aurons ainsi respecté et gagné la confiance du peuple. Et ce faisant, nous aurons réussi à rétablir la stabilité et la sérénité, conditions indispensables pour que la future assemblée puisse préparer dans le calme les projets de la future Constitution et pour que le nouveau gouvernement provisoire puisse gérer les affaires courantes sans la pression des contestations populaires. Par la suite, une fois les projets de la future Constitution adoptés par référendum, nous organiserons alors de nouvelles élections législatives. Nous aurons ainsi un nouveau parlement dont sera issu un nouveau gouvernement pour une première législature historique, celle de la Tunisie nouvelle, la Tunisie démocratique ... Propos recueillis par Hajer AJROUDI