De notre envoyée spéciale à Berlin, Hedia BARAKET Les résultats des législatives et le jeu des alliances qui s'ensuit résument les singularités du paysage politique allemand : conservatisme dans la démocratie, personnalisation dans le pluralisme, constance dans le pragmatisme. Ambiance de lendemains de fête à Berlin. D'un jour de vote et d'une campagne plurielle, il reste des portraits de candidats trônant sur la ville et des slogans qui sonnent vaguement ou ne disent plus rien aux passants. Comme par un accord tacite, peu de ces portraits affichent la taille record de celui de la chancelière. Il y a certes la posture d'un imposant rival en action, hauteur nature et slogan impératif : « Avec nous », mais le leader du parti social-démocrate, Peer Steinbrück, entend-on en off, aurait brûlé ses chances en négligeant la véritable mesure du conservatisme allemand. Alors, tout comme le plébiscite des urnes, la palme de la communication sera revenue, cette fois encore, à l'aplomb du phénomène Merkel, « Reine » ou « Mère », en tout cas « Chérie ». Sous les apparences austères et froides, les instituts d'opinion et les médias se plaisent à raconter la story d'une physicienne, fille de pasteur, trois fois plébiscitée, car « les pieds sur terre, trop proche du peuple, travaillant à tête réfléchie et sans se précipiter, bien perçue par les femmes, acceptée par tous et n'irritant personne...». Le pouvoir a un nom Même si sur les périphériques, on s'en prend sadiquement au regard enfantin, à la coupe fillette, la veste rouge et le sourire énigmatique, et même si dans les milieux de gauche et les rangs grossis des laissés pour compte, on l'accable de toutes les inégalités, 41,5% des électeurs allemands ont reconduit la « sage politique », l'option du « Continuer ensemble » d'une chancelière qui se présidentialise, de mandat en mandat. Le phénomène Merkel c'est aussi l'histoire de la présidente de la plus grande formation de droite qui a percé dans un parti d'hommes mais qui, en devenant « Angie », a largué loin derrière elle ses coéquipiers et vaqué seule à la conquête de l'Allemagne et de l'Europe entière. Ce qui inquiète les instituts d'analyse qui anticipent déjà avec cette question récurrente : que deviendrait la CDU sans elle? En attendant, la première femme chancelière d'Allemagne vient, pour la troisième fois, de gagner seule, mais aussi d'offrir à son parti le score le plus large depuis trente ans. Après avoir profité de la soirée électorale pour « savourer une large victoire », sur fond d'une chanson emblématique et en esquissant quelques pas de danse bien pudiques, elle est partie, dès lundi matin, à la conquête d'alliés probables pour gouverner. Sa « victoire triomphale » ne lui accorde pas, pour autant, cette majorité absolue au Bundestag qui lui permette de gouverner seule. A la recherche du partenaire idéal, prédisent les analystes, les négociations risquent d'être houleuses et pourraient s'étendre sur huit semaines. Les petits partis fuient le baiser de la mort C'est que les défis sont nombreux et les alliés peu probables. Expliquant sa victoire par la gestion de la crise de la zone euro, les quotidiens allemands ne titrent pas moins sur les défis auxquels elle devra faire face lors de son troisième mandat. Poursuivre la politique d'austérité en Europe et d'aide aux pays en crise en dépit de ce que ses détracteurs en Allemagne et dans le sud de l'Europe lui reprochent, assurer la transition énergétique promise, faire face au vieillissement de la population, devoir négocier les revendications socialistes sur le salaire minimum, les emplois précaires, la révision des montants de la retraite et peut-être bien toute la teneur de sa politique européenne. Avec ces chantiers sur les bras, les éventuels partenaires ne se bousculent pas à la porte de la chancelière. Les petits partis appréhendent désormais « le baiser de la mort » qui vient de sceller le sort de son allié du dernier mandat. Le parti libéral FDP créa la surprise de surpasser la dégringolade annoncée dans les sondages en enregistrant le score de 2,4% et en quittant le Bundestag, plus illisible que jamais sur le plan idéologique. Les petits partis n'entreraient pas dans une coalition gouvernementale mais n'impacteront pas moins sa politique, avertissent certains quotidiens. Le tabloïd le plus lu « Bilt » prédit, notamment, que la politique de gestion de la crise sera influencée par le parti anti Euro Alternative pour l'Allemagne (AFD) « Le sauvetage de l'euro à la manière de Mme Merkel sera encore plus difficile». Peut-on y lire. Créé il y a juste sept mois, février 2013, l'AFD est vite monté dans les sondages, mais avec 4,7 % des voix au scrutin, il n'a finalement pas réussi à dépasser la barre des 5 % nécessaires pour entrer au Bundestag. Son pragmatisme la pousse vers son rival socialiste Avec le recul des « Grünen », le parti écologique des Verts qui ont accumulé les faux pas pendant la campagne, tanguant entre la droite et la gauche, et dont l'essentiel du combat énergétique a été récupéré par la chancelière, et l'impossibilité de se rallier les faveurs radicales de l'héritier de l'ex-RDA, Die Linke, il ne reste plus pour la chancelière que l'alternative de se rallier au Parti social démocrate, SPD, de son rival Peer Steinbrück. La vainqueuse et le rival ont déjà entamé les négociations. Les coalitions entre conservateurs et socialistes ne sont pas à leur première expérience. En Allemagne, elles ne seraient pas contre nature. Le pragmatisme de la chancelière serait venu à bout de ses a prioris idéologiques. La future configuration ne serait pas pour autant évidente pour la vainqueuse. Le SPD perdant a accepté le rapprochement mais n'en a pas moins qu'une longue liste de conditions à poser.