«Aucune plainte officielle de la part de la présidence de la République», selon le SG du Syndicat national des forces de l'ordre Ce qui s'est passé à la caserne d'El Aouina, le vendredi 18 octobre, lors de la cérémonie d'hommage aux deux membres de la Garde nationale tués à Goubellat par des terroristes, n'a pas manqué de faire des vagues et de soulever remous et réactions. Le jour même de l'incident du «Dégage» aux trois présidents de la République, du gouvernement et de l'Assemblée nationale constituante (ANC), le chef du gouvernement Ali Laârayedh ainsi que le nouveau commandant de la Garde nationale Mounir Ksiksi ont réagi à chaud en menaçant «de prendre des dispositions disciplinaires administratives et judiciaires contre les agents qui ont lancé le slogan "Dégage" à la face des trois présidents». Dimanche dernier, certains journaux électroniques et médias audiovisuels, dont la chaîne de télé «Al Moutawasset» proche du mouvement Ennahdha, ont annoncé que «la présidence de la République a ordonné l'ouverture d'une enquête par la justice militaire sur l'incident d'El Aouina». Information démentie, sur Mosaïque FM, par un responsable de la direction des médias et de la communication au sein de la présidence de la République. En revanche, le ministère de l'Intérieur a annoncé dans un communiqué rendu public, le dimanche 20 octobre, qu'une enquête administrative sera ouverte concernant l'incident du «Dégage» adressé aux trois présidents à El Aouina appelant les agents à éviter «tout engrenage politique et à se mobiliser pour combattre le crime organisé et le terrorisme». Ce qui n'a pas empêché Adnène Mansar, directeur du cabinet présidentiel, de déclarer : «que des poursuites seront engagées contre certains agents impliqués dans l'incident d'El Aouina». De son côté, la Ligue de protection de la République (LPR) a appelé, dans sa page officielle dimanche soir, «le président de la République à fusiller par balles, au nom du peuple, les responsables des syndicats de la sécurité intérieure et à interdire toute activité syndicale dans le secteur de la sécurité». Ajoutant que «les syndicats préparent un coup d'Etat en accord avec l'opposition». Les directeurs généraux et les directeurs des directions centrales de la Garde nationale ont exprimé, eux, dans un communiqué rendu public dans la nuit du dimanche 20 octobre, leur solidarité avec leur commandant Mounir Ksiksi et ont dénoncé «le sabotage scandaleux de la cérémonie d'hommage aux martyrs de la Tunisie». Par ailleurs, Rached Ghannouchi a dénoncé dans un communiqué de son mouvement Ennahdha rendu public, dimanche dernier, «le comportement irresponsable» de certains agents de sécurité qui ont saboté la cérémonie d'hommage aux martyrs par leur engagement dans des stratégies politiques partisanes qui ne respectent pas la volonté populaire et par leur déviation des objectifs de l'action syndicale, ce qui entache l'image de l'institution sécuritaire. Tout en exhortant à répondre aux revendications légitimes des agents de sécurité qui leur garantiraient sérénité et dignité ainsi que de meilleures conditions de travail, Ennahdha s'insurge contre tout agissement irresponsable de certains agents de sécurité et appelle à prendre à leur encontre les sanctions qu'impose la loi. A toutes ces menaces de poursuites judiciaires aux appels haineux de meurtre des LPR, l'Union des syndicats des forces de sécurité tunisiennes n'a pas manqué de réagir par des déclarations avertissant toutes les parties contre toute poursuite judiciaire ou administrative à l'encontre des agents de sécurité présents à El Aouina. Des manifestations ont, d'ailleurs, eu lieu, hier, dans certaines villes du pays, dont Jendouba et Gafsa, revendiquant la promulgation de lois antiterroristes. Enfin, M. Nabil Ayari, secrétaire général du Syndicat national des forces de l'ordre, nous a déclaré qu'«aucun ordre officiel d'ouverture d'enquête ou de poursuite judiciaire contre des agents de la sécurité intérieure présents à El Aouina ne nous est parvenue de la présidence de la République». «Concentrons-nous sur la lutte contre le terrorisme» A la lumière de ces réactions et contre-réactions sur l'incident du «Dégage», nous avons interrogé certaines figures de la scène politique et autres députés sur leurs positions : faudrait-il sanctionner les auteurs du «Dégage» ou circonscrire l'incident en clôturant l'affaire ? Abderraouf Ayadi, président du mouvement Wafa, est catégorique : «Il faut sévir contre les agents de sécurité qui appellent à la rébellion en les poursuivant en justice. Ce qui s'est passé à El Aouina est très grave et nécessite l'application de la loi, d'autant que l'une des premières leçons inculquées aux agents de l'ordre est le respect de la discipline. Or, le non-respect de la discipline implique des sanctions en conséquence». Touché de son côté, Mahmoud Baroudi, constituant de l'opposition (Parti démocrate progressiste) retiré de l'ANC, penche plutôt pour l'apaisement : «Vous savez, de pareils mouvements spontanés de protestation surviennent dans tous les secteurs. Il est vrai que la sécurité est un domaine sensible et qu'une certaine discipline de ceux qui y travaillent est nécessaire. Mais amplifier l'affaire serait, à mon avis, contre-productif. Cela d'autant que ce n'est pas la première fois que pareils incidents arrivent. Cela s'est passé sous le gouvernement Béji Caïd Essebsi vers la fin de 2011. De plus, on comprend le malaise des agents de sécurité face aux menaces terroristes et aux dangers qu'ils courent, surtout qu'ils luttent contre le terrorisme avec des moyens indigents et inappropriés. Certes, les agents devraient, malgré tout, continuer à faire preuve de discipline, mais il est tout aussi impératif qu'il y ait une volonté politique pour contrer le terrorisme et aider, ainsi, ces agents dans leur tâche». Interrogé, également, Mohamed Bennour, porte-parole d'Ettakatol, est clair : «Tous nos efforts doivent se focaliser sur la lutte contre le terrorisme en s'attachant à ce que la sérénité règne dans le secteur de la sécurité. Aujourd'hui, nous sommes en guerre contre le terrorisme qui représente la vraie menace contre la Tunisie et ses institutions républicaines et civiles. Oui, les agents de sécurité ont raison de revendiquer une couverture juridique et des équipements nécessaires pour contrer le terrorisme. Les pouvoirs en place doivent mettre sur le tapis ce dossier et y trouver les solutions adéquates et efficaces, afin de protéger les agents de sécurité et de lutter efficacement contre la menace terroriste. C'est pourquoi je pense qu'il faudrait circonscrire et mettre en sourdine l'incident d'El Aouina. Cela afin de calmer les esprits, d'éviter d'amplifier cette affaire et de nous concentrer sur l'essentiel : la protection du pays, de ses institutions et des citoyens du fléau terroriste».