La fermeture du camp crée une situation humanitaire intenable, en l'absence de toute législation relative à ce type de population. Quatre mois déjà. Le camp frontalier de Choucha, à l'extrême sud du pays, ouvert pendant deux ans aux rescapés d'une guerre civile qui a secoué les régions du « Printemps arabes », dont notamment la Libye, a été officiellement déclaré clos depuis quatre mois. Une décision contestée qui a posé son lot de problèmes, vu qu'un nombre important de réfugiés et demandeurs d'asile est encore présent chez nous, sans papiers ni statut régulier. Une situation embarrassante qui n'a pas manqué de livrer à elle-même une population de déplacés, désormais sans gîte ni ressources, dans un climat de sécurité de plus en plus précaire. Société civile, organisations non gouvernementales et décideurs politiques se sont ainsi trouvés dans l'obligation de se pencher sur le problème afin de trancher définitivement. Toutefois, en l'absence d'un cadre juridique bien défini portant sur le droit d'asile et la gestion des flux migratoires, quel sort pourrait-on réserver à ces réfugiés devenus, à la longue, des demandeurs d'asile ? Sur ce sujet qualifié de grande priorité, un débat a été instauré lors d'une journée d'étude, tenue hier matin dans la capitale, à l'initiative du Centre de Tunis pour la migration et l'asile (Cetuma), en collaboration avec South Devon Multicultural Forum (Sodmuf). Avec pour intitulé « Après la fermeture du camp de Choucha, la Tunisie face au défi de l'asile ». A l'ouverture des travaux, le président du Cetuma, Hassan Boubakri, a relevé qu'un tel phénomène devrait interpeller les différentes composantes de la société afin d'agir dans un partenariat multilatéral efficace et fructueux. Et si la Tunisie post-révolutionnaire, a-t-il indiqué, a su gérer l'affluence des réfugiés sur son sol, il relève de sa responsabilité, en ces temps de crise, de faire de son mieux pour y apporter les solutions qu'il faut. Son expérience humaniste, qu'elle a menée jusqu'à nos jours, lui a valu respect et considération à une large échelle. Maintenant que la Tunisie se retrouve confrontée à la gestion d'une situation à laquelle elle n'était pas préparée sur les plans institutionnel, juridique et social, la demande d'asile pose plus d'une question. Elle fait l'objet d'un débat controversé. Et c'est tant mieux, à l'en croire, pour répondre aux besoins des réfugiés encore présents en Tunisie, dont le nombre, selon le Unhcr, avoisine 1.500, voire plus. A défaut d'une loi-cadre relative au droit d'asile et des mesures concrètes d'intégration et de protection des droits des réfugiés en Tunisie, la situation demeure assez délicate. Et M. Boubakri de s'interroger : comment notre pays peut-il aujourd'hui prendre en charge les différentes catégories de ces réfugiés et répondre à leurs attentes ? Avec ou sans statut, déboutés ou reconnus, faut-il avoir droit à l'asile ? Autant de défis problématiques que les participants ont évoqués au cours de leurs interventions. Le président du Cetuma a attiré l'attention sur la lenteur enregistrée au niveau de la promulgation de la loi d'asile en Tunisie, laquelle, étant en instance, n'a pas pris encore forme. Abondant dans ce sens, M. Olivier Tringham, responsable auprès de Sodmuf, insiste sur la nécessité de chercher les moyens susceptibles de mettre un terme à l'état de précarité dans lequel vivent actuellement plusieurs centaines de réfugiés. Et d'ajouter que l'affaire est du ressort de toutes les parties concernées, gouvernement et société civile à part égale. Pourquoi est-il aujourd'hui question d'avoir une loi sur l'asile ? Ainsi s'interroge Ramy Khouili, du bureau du réseau Euro-Med des droits de l'Homme en Tunisie. La présence massive de réfugiés dans le camp de Choucha a donné lieu à une situation de crise marquée par une spirale d'agressions et de pratiques inhumaines. « Comme ce fut le cas le 17 août dernier, où quelque 193 ressortissants étrangers ont été repêchés en mer, avec une tentative des autorités tunisiennes de les refouler vers la Libye sans aucune intervention enregistrée de la part du Unhcr, de l'OIM et d'autres organisations civiles», révèle-t-il. D'où, selon lui, l'importance qu'il y a de créer une loi pour les protéger au double niveau physique et social. Le secrétaire général du Croissant-Rouge tunisien, M. Tahar Cheniti, est intervenu de son côté pour exposer l'expérience d'assistance et d'humanisme qu'a pilotée sur le terrain toute une équipe de 500 volontaires. Une expérience qui, d'après lui, continue d'apporter du soutien. Mais, dès lors que le camp a fermé ses portes, la politique migratoire demeure le véritable défi de l'heure actuelle. Sa résolution exige la mise en place d'un cadre législatif national en matière de droit d'asile, qui n'existe pas pour l'instant. « C'est un projet qui est en cours. Nous sommes en pleine concertation avec les organisations internationales concernées, mais aussi avec les responsables du gouvernement tunisien et les juristes, pour avoir une législation à la fois avant-gardiste, humaniste et qui prenne en compte les intérêts du pays et les nouveaux impératifs de la Tunisie en tant que pays des droits de l'Homme. Un pays qui est conscient de sa responsabilité à l'échelle nationale et internationale. Pour cela, je pense que tous les partenaires (Unhcr, OIM, U.E...) doivent se sentir impliqués en vue d'une meilleure gestion de ce dossier», a-t-il insisté. Afin de conférer au problème une dimension plus concrète, la parole a été, par la suite, donnée à quelques réfugiés présents. A bout de souffle, minés par la colère, ils venaient désespérément chercher une piste légale qui les mènerait à bon port. Intervenant à tour de rôle, ils ont dénoncé la négligence à l'égard de leur droit légitime à un permis de séjour leur garantissant une vie digne, loin des discriminations. Au fur et à mesure, des cris de secours fusaient, en signe de protestation contre toute atteinte à leur droit d'asile.