Nos agents de l'ordre et nos soldats ont plus que jamais besoin d'être soutenus, pour leur moral et pour le succès de leur mission Paradoxalement, dès qu'un débat tourne autour de la question du terrorisme en Tunisie, on focalise davantage sur les menaces de ce fléau, sur les ramifications de ses groupuscules et sur les sombres perspectives de leur stratégie, que sur le rôle joué par nos policiers, gardes nationaux et soldats. Un rôle que nous qualifions de «prépondérant», voire vital, dans la course à l'anéantissement de ce terrorisme que tous les Tunisiens veulent. Or, ce rôle s'apparente, aujourd'hui, à un vrai calvaire, à un harassement quotidien, à un saut dans l'inconnu de tous les instants. Face à un ennemi imprévisible — et donc redoutable —, agents de l'ordre et policiers ont fait...leurs adieux au «bon vieux temps», à cette époque «dorée» où procéder à l'arrestation d'un dangereux bandit ou d'un tueur sans scrupules était une simple formalité, pour ne pas dire une promenade de santé. Fini aussi le temps où un agent de l'ordre pouvait, à lui seul, faire la loi dans tout un quartier, sans attendre des renforts. Hier encore, un simple policier était tellement redouté au point que certains faisaient tout pour l'éviter. Bref, l'appareil sécuritaire du pays, alors solidement structuré, se la «coulait douce», jusqu'au jour où le terrorisme a atterri dans nos murs. Changement subit du décor, et rien ne sera plus comme avant. Souffrances énormes Aujourd'hui, c'est bien le revers de la médaille, avec, à l'appui, une énormité de souffrances qui perdurent. En effet, dans une féroce lutte contre le terrorisme où on ne se fait plus de cadeau et dans une situation où ça passe ou ça casse, policiers, soldats et gardes nationaux commencent réellement à apprendre les risques du métier. Obligés, désormais», de travailler 12 heures par jour au lieu de 8 et de garder (encore une première) leur arme à la fin du service, ils vont aujourd'hui à chaque descente comme on va à la guerre, les armes blanches l'ayant cédé — ô fatalité — aux kalachnikovs, aux bombes et aux ceintures explosives et, peut-être un jour, aux voitures piégées. Marchant, par les temps qui courent, sur des champs minés après avoir longtemps évolué sur du velours, ils ne savent plus ce que leur réserve l'avenir. R.K., 30 ans, un agent de la Garde nationale parmi les traqueurs des terroristes, en sait quelque chose. Ecoutons-le. «Depuis que la nébuleuse Al Qaïda s'est installée en Tunisie, je tiens désormais à embrasser mes deux fillettes avant de sortir. Tout simplement, parce que rien ne garantit mon retour sain et sauf à la maison. Et chaque fois que je suis appelé à faire des heures supplémentaires, je somme ma femme d'aller passer la nuit chez ses parents. «Et de s'interroger, encore plus ému : «Qui sait si un jour, un terroriste ne serait pas chargé de ma liquididation physique à la porte de mon domicile?». Ayant participé à l'arrestation, jusque-là, de quelque 25 salafistes jihadistes dans le district de Tunis, notre interlocuteur nous cita l'exemple dramatique de l'un de ses camarades qui a péri à ses côtés dans une descente, à deux mois du jour de son mariage. Et les cas pareils abondent. Tel ce policier égorgé à Jebel Jelloud, ou cet agent de la Garde nationale qui a perdu une jambe dans une opération chasse à l'homme du côté de Kairouan. Bref, on a déploré jusqu'à présent, dans un premier bilan, la perte d'une quinzaine d'agents, sans compter une centaine de blessés depuis le début des hostilités avec les terroristes. Un bilan qui risque de connaître une hausse, si les acolytes de Abou Iyadh venaient à mettre à exécution leur scénario apocalyptique, fait d'attentats sanglants. Besoin de compréhension Tout cela pour dire que soldats et agents de l'ordre ont plus que jamais besoin d'aide, d'affection et de compréhension. «On ne demande pourtant pas l'impossible», remarque notre interlocuteur qui précise : «Nous avons plutôt besoin d'être mieux équipés en armes et en matériel pare-balles. Nous avons besoin aussi d'une synchronisation plus judicieuse des efforts avec les autres parties prenantes d'une meilleure motivation de la part de l'Etat, d'une exploitation plus performante des renseignements et, enfin, de l'aide de la population qui doit s'impliquer davantage dans cette cause nationale, tout en espérant qu'elle comprendra notre peine et notre situation fort stressante qui frise la déprime. En contrepartie, nous promettons à tous nos compatriotes que nous continuerons à démontrer notre volonté tenace à être prêts à vraiment tout faire, tout endurer pour défendre le pays avec courage et loyauté». Voilà des propos fort émouvants. Espérons qu'ils seront entendus.