Prenant appui sur une étude menée au début de l'année, qui fait le constat d'une vague de violence dans les médias, une ONG lance un projet... L'association «Femme et leadership» a organisé, hier à Tunis, un point de presse afin de présenter son projet «Paroles pour la paix». Il s'agissait aussi de présenter les résultats d'une récente étude statistique sur les messages de haine dans les médias. «Paroles pour la paix» est un projet à dimension éthique. Il s'inscrit dans une démarche d'opposition par rapport à la vague de violence et à l'usage fréquent d'un lexique immoral dans les médias. Cette vague est liée à l'émergence de tendances à l'intolérance et à l'irrespect prémédité envers autrui... Mené en collaboration avec d'autres ONG nationales et internationales, le projet est financé par le Programme des Nations unies pour le développement. Depuis les événements du 14 janvier 2011, un climat de tension croissante règne et transparaît sur le petit écran, sur les pages des quotidiens et sur les ondes des radios. «Paroles pour la paix», intitulé également «Média : voix de paix», tend à promouvoir la culture de la paix à travers le paysage médiatique. Il veut créer un climat favorable au dialogue entre les acteurs et les militants de la société civile et réinstaurer les bases d'une culture éthique pour la paix. Ouvrant le point de presse, Mme Sana Ghenima, présidente de l'association «Femme et leadership», indique d'emblée que la tension prédominante constitue, hélas, l'une des principales caractéristiques du contexte post-révolutionnaire. Une caractéristique qui a ouvert la voie à une déviation éthique qui n'a pas épargné les médias. «Cette tension n'est pas dans l'intérêt du pays. D'autant plus que tout message, même le plus sarcastique, peut être transmis sans qu'il soit besoin de recourir à un vocabulaire violent et injurieux», indique l'oratrice. Le projet démarrera bientôt et s'étalera sur un semestre. Il touchera 10 gouvernorats, à savoir Tunis, l'Ariana, Ben Arous, La Manouba, Bizerte, Kasserine, Kairouan, Le Kef, Sfax et Gafsa. Des ONG régionales seront impliquées dans l'action, qui consistera en l'organisation d'une série de campagnes de communication et de sensibilisation. Les acteurs du projet se pencheront également sur l'interpellation du public cible : journalistes, intellectuels, leaders d'opinion, acteurs de la société civile, étudiants, ainsi que le large public, en particulier les éducateurs et les parents. On prévoit la création d'un réseau de 200 ambassadeurs de la paix, qui seront formés à cet effet. Enfin, il sera procédé à la réalisation d'un guide lexical. Prenant la parole à son tour, Mme Amel Bel Haj Ali, membre du bureau exécutif de l'association, rappelle le rôle pédagogique des journalistes et des responsables de médias, les invitant à abandonner l'excès de sensationnel et l'émotionnel. L'oratrice indique que 90% des messages véhiculés par les médias sont des messages proviolence. Une réalité qu'elle juge alarmante. «Comment aspire-t-on à l'instauration de la démocratie alors qu'on est toujours incapables de communiquer sereinement et pacifiquement ?», s'interroge-t-elle. La haine dans les médias : une réalité amère Evoquant le rôle des médias, Mme Bel Haj Ali dénonce les shows politiques diffusés sur le petit écran et incite les médias à la programmation de talk-shows vraiment dignes de cette appellation. «Toute révolution populaire, souligne-t-elle, implique une révolution culturelle. Or cela n'a pas été le cas dans la Tunisie post-révolutionnaire. Nous devons absolument nous rattraper sur ce terrain». Le projet « Paroles pour la paix » ne repose ni sur un jugement subjectif ni sur une dépréciation partagée entre les membres de la société civile. Il tire son diagnostic des résultats d'un recensement réalisé et qui a porté sur les messages de haine et de violence dans les médias tunisiens. Ce travail, mené entre janvier et mars 2013 par l'Organisation arabe pour le recensement médiatique, avec la contribution du Conseil national des libertés de Tunisie, la Coalition pour les femmes tunisiennes, a été financé par l'organisation Oxfam. Présentant les résultats du recensement, M. Amirouch Jajaâ, directeur du projet, précise que l'idée n'est point de mettre en accusation les médias et les journalistes tunisiens. L'objectif est plutôt d'exposer un problème majeur du journalisme post-révolutionnaire dans notre pays. Il s'agit d'une étape cruciale afin de hisser la profession au niveau de la performance escomptée. Elle permet également de réaffirmer les principes déontologiques qui président à la pratique du métier. Des messagers de haine Les résultats du recensement dont nous avons parlé dans une précédente édition dévoilent l'ampleur que prend la violence dans les médias. La presse écrite en langue arabe (Chourouk, Al Maghreb, Al Sarih et Al Tounissia) devance la presse en langue française en matière de messages proviolence, avec 90,3% des messages de haine contre seulement 09,7% véhiculés par La Presse et Le Temps. L'étude menée au début de l'année en cours rapporte que le quotidien La Presse ne contribue à cette vague de violence qu'à hauteur de 03,73%, soit le plus faible taux. Le rapport montre également que 72% des messages hostiles comprennent des insultes et des expressions diffamatoires. Pis encore : plus de 13% desdits messages représentent des incitations — directes et indirectes — à la violence et parfois même au meurtre. Il est, par ailleurs, à souligner que la plupart des messages de haine s'articulent autour de deux axes emblématiques du contexte actuel : le politique et le religieux. En effet, 44,78% du contenu des messages sont à caractère politique. 13,43% relèvent du religieux.