Une thématique riche d'enseignements et une interprète haut de gamme : ce concert inaugural de La Rachidia aura fait vraiment grosse impression vendredi au Théâtre de la Ville de Tunis. «Perfecto», diraient les spécialistes L'institut de La Rachidia a inauguré sa saison culturelle 2013-2014, vendredi au Théâtre municipal, avec un concert unique de Sonia M'barek, intitulé «Hommage à Ziriab». La Rachidia a modifié le cycle mensuel de ses concerts depuis l'année dernière, plus précisément depuis la (Ré)élection de son nouveau bureau directeur avec à sa tête Mourad Sakli. Plus de troupe maison, mais, désormais, un programme confié, chaque mois, à un ensemble différent et à un chanteur de la place, sur des thèmes divers en relation avec la musique classique tunisienne. L'invitée, cette fois-ci, était une voix «haut de gamme», ce qui explique la présence, à la Bonbonnière, d'un public assez nombreux malgré «la morosité» du contexte. Le thème consacré à «Ziriab» qui fut, dans la première moitié du IIIe siècle de l'Hégire, un des fondateurs de la musique arabo-andalouse et un des grands inspirateurs de la musique maghrébine et du malouf tunisien, offrait, en plus, une riche «palette» d'écoute : morceaux de la pure tradition, suites et noubas anciennes, relayés par un choix de nos meilleures chansons du patrimoine, dont des compositions de notre «Ziriab» national, l'éminentissime professeur Salah El Mehdi. Pourquoi une thématique propre à «Ziriab» ? L'idée allait de soi au regard de Sonia M'barek. Le passage du chanteur et musicien prodige de l'ère abasside, de Bagdad à Kairouan puis de Kairouan à Cordoue, a marqué de façon définitive le contenu et le style de notre musique et de notre chanson. Ce croisement «séculaire» de l'Orient arabe, de l'andalou et du «berbero-maghrébin» nous a donné l'art du moachah originel, tel qu'il était professé et pratiqué à la Mecque et à Médine au premier siècle omeyyade, puis, à l'époque «rachidienne», par Ibrahim et Ishaq El Mawssili. Il fut aussi à la base de l'émergence du malouf, tout particulièrement à l'époque hafside. Nous en retrouvons, enfin, de nos jours encore, l'indélébile synthèse, entre les maqâms «charqui» et «touboûs» tunisiens, dans à peu près l'ensemble de nos répertoires chansonniers. Le concert proposé, vendredi, par Sonia M'barek devait nous en faire «l'évidente» démonstration. Et ce fut le cas, en tous points de vue. A travers, d'abord, l'ordonnancement et la cohérence du «conducteur». Compositions récentes, en premier, textes et musiques sur le modèle typique andalou, dont une magnifique suite de Brahim Abdelbaqi et de Fathi Zghonda («Hommage à Ziriab»), mêlant, à merveille, le «hijaz» d'Arabie et nos accents «isbaaïn», la «sika» orientale et la «sika» tunisienne, la «jharka charqi» et les fines «modulations» du «mazmoun» local. Saisissante alchimie : on eut cru une œuvre d'un autre temps! Suites classiques de «moachah» et de malouf, en second, dont deux créations, sur le modèle de «la nouba», de Tarnane et de Salah El Mehdi (modes nahwend et h'ssine) soulignant, justement, la parenté et l'affinité historiques (la marque de l'école andalouse) entre les maqams orientaux et les touboûs tunisiens. Un choix de chansons du répertoire, enfin, exprimant, toutes, la même synthèse «charqi - tounssi», notre style propre, notre propre héritage andalou. Et quel choix! Des pépites, des joyaux, qui ont toujours fait notre bonheur et qui continueront sûrement à faire le bonheur de nos futures générations : «Nadhra min aïnik» de Salah Mehdi qui échut d'abord à la grande Oulaya, puis à Adnane Chaouachi à ses débuts, «Ya hajra» de Hana Rached (musique de Hana Rached!), «Helma», peut-être l'unique incursion de Fawzi Chkili dans la chanson «wataria», mais quelle classe! et quelle émotion! «Mahla ennassim» surtout. Dieu bénisse notre regretté maître Kaddour Srarfi, nous lui devons ce chef-d'œuvre de mélodie qui fut interprété avec âme et maestria par Naâma, mais avant elle, si l'on ne s'abuse, par la légendaire Fathia Khaïri. Lignée de cantatrices Beau «conducteur», excellent choix, mais on n'oubliera pas de mentionner l'essentiel : l'extraordinaire prestation de Sonia M'barek. On le dit souvent : la critique trouve difficilement ses mots quand elle doit rendre compte d'une telle qualité de chant. Les superlatifs ne suffisent jamais à en restituer l'exacte teneur, l'exacte hauteur, l'exacte performance et l'exacte émotion. Ce vendredi à la Bonbonnière, cependant, la prestation de Sonia M'barek nous a paru atteindre des niveaux rarement atteints par le passé. «Perfecto», diraient les spécialistes. Il n'y avait pas d'autre qualificatif. On ne reviendra pas sur les attributs déjà largement prouvés et éprouvés de la chanteuse : ce timbre chaud, velouté, cet équilibre des tonalités, ces «grupettis» qui «coulent» de nature, jamais «recherchés», jamais «déplacés», cette articulation parfaite des textes, cette maîtrise du phrasé. On a eu droit à tout cela à la fois, mais encore, et l'on y insistera tout particulièrement, car les publics ne s'en rendent pas toujours compte, à deux heures de récital sans interruption, où le chant de justesse n'a pas souffert de «l'once de l'once» d'un «coma» en plus ou en moins. Le diapason parfait : c'était la voix de Sonia M'barek ce vendredi soir sur la scène du Théâtre municipal de Tunis. Dans la grande lignée des cantatrices lyriques. Chapeau bas!