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Un droit fondamental remis en cause
Projet de loi sur le service obligatoire pour les médecins spécialistes
Publié dans La Presse de Tunisie le 27 - 11 - 2013


Par Hatem KOTRANE
Les droits fondamentaux de l'homme au travail sont-ils redevenus une simple affaire de spéculation politicienne réglée au gré de la conjoncture politique ? Quel impact le projet de loi sur le service obligatoire pour les médecins spécialistes peut-il entraîner au plan de leurs droits fondamentaux au travail, y compris notamment leur droit au libre choix du travail et à l'interdiction subséquente de toute forme de travail forcé ou d'affectation obligatoire?
C'est à ces interrogation cruciales, totalement omises par le ministre de la Santé publique, initiateur du projet de loi controversé, qu'il conviendrait, en effet, de répondre en vue de situer le débat qui suscite actuellement bien d'émotions et de remous auprès des médecins spécialistes directement intéressés et de l'ensemble de l'opinion publique. Aux termes dudit projet de loi, en effet, « avant de s'installer dans le secteur privé, les médecins spécialistes seront dans l'obligation de travailler trois années en alternance dans des services hospitalo-sanitaires ou hospitalo-universitaires dépendant des structures de la santé publique. Ces affectations seront déterminées par le ministère de la Santé selon ses besoins. [...] Cette obligation intéresse aussi les assistants hospitalo-universitaires en médecine dont l'ancienneté est inférieure à quatre années. [...] Le ministère de la Santé délivrera aux médecins concernés qui auront achevé la durée obligatoire de travail dans le secteur public un certificat à cet effet qui sera une condition pour s'installer dans le secteur libéral en tant que médecin spécialiste».
Violation expresse
D'aucuns penseraient que les mobiles à la base du projet de loi sont tout à fait louables en permettant de lutter contre les «déserts médicaux» et d'assurer une plus grande égalité des chances entre tous les citoyens et toutes les régions en vue d'accéder au « ...droit qu'a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mental qu'elle soit capable d'atteindre », ainsi qu'il a été expressément proclamé par l'article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ratifié par la Tunisie. La concentration des médecins et des structures sanitaires ou hospitalo-universitaires dans les villes du littoral crée, de surcroît, un déséquilibre qu'il est du devoir de l'Etat de réduire au moyen d'une politique volontariste donnant une nouvelle impulsion aux politiques sociales en direction des régions à réanimer?
Notre opinion, pourtant, est que ledit projet de loi est en violation expresse des principes et droits fondamentaux de l'homme au travail, ainsi qu'ils ont été reconnus par la «déclaration de l'OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail et son suivi», adoptée par la Conférence internationale du travail à sa 86ème session le 18 juin 1998. Parmi ces principes et droits fondamentaux de l'homme au travail figurent, en effet, les principes et droits reconnus dans les « 8 grandes conventions » de l'Organisation internationale du travail (OIT), dont notamment la Convention n°29 sur le travail forcé (1930) et la Convention n° 105 sur l'abolition du travail forcé (1957), toutes les deux ratifiées par la Tunisie depuis plus d'un demi-siècle (1).
Redonner un sens aux valeurs de liberté, d'égalité et de solidarité citoyenne
Redonner un sens aux valeurs de liberté, d'égalité et de solidarité citoyenne, ce n'est pas méconnaître l'importance des arguments soulevés par le ministre de la Santé publique dans sa défense du projet soumis à l'ANC, ni des nouvelles réalités politiques, économiques et sociales qui se mettent progressivement en place. Il s'agit plutôt d'attirer l'attention sur les risques majeurs engendrés par cette dérive d'une logique de gestion des services publics montée en puissance et illustrée par une inversion fréquente des priorités entre objectifs et moyens qui fait de la réforme du système de santé et du statut des médecins et autres personnels de la santé une fin en soi, alors qu'elle ne se justifie que comme instrument de satisfaction des besoins des citoyens et des régions, dans le respect des droits et devoirs de chacun envers la société tout entière.
La pensée à la base du projet de loi sur le service obligatoire pour les médecins spécialistes ne se préoccupe en fait guère de l'humain, les chiffres lui suffisent, ce que l'on pourrait aisément résumer en affirmant que si les arguments présentés en appui dudit projet connaissent bien les chiffres et indicateurs de santé, ils ne savent souvent la valeur de rien !
Préserver à tout prix la liberté du travail des médecins !
Une des valeurs essentielles à préserver à tout prix est la liberté du travail qui s'oppose, dès lors, à toute forme de travail forcé. Depuis l'abolition de l'esclavage, jusqu'à l'interdiction de pratiques, certes moins brutales, mais somme toute plus subtiles, utilisées à des fins de coercition politique ou dans des programmes dits de prévention et d'éducation sociale, ou à des fins de développement économique, l'action internationale de l'OIT contre le travail forcé est marquée par un souci constant d'assurer l'adhésion volontaire de l'homme au travail.
Les Conventions n°29 et n°105 constituent les instruments de portée générale en la matière. Cette dernière convention commande l'abolition immédiate et complète de toutes les formes de travail forcé, y compris « en tant que mesure de coercition ou d'éducation politique ; en tant que mesure de mobilisation à des fins de développement économique ; en tant que mesure de discipline de travail»; en tant que sanction pour avoir participé à des grèves ou en tant que mesure de discrimination raciale, sociale, nationale ou religieuse ».
La Tunisie a ratifié le 23 novembre 1962 la Convention n°29, comme elle avait ratifié, depuis le 23 décembre 1958, la Convention n°105, et il n'existe pas dans la législation tunisienne de dispositions impliquant une forme quelconque de travail forcé au sens de ces textes internationaux. On rappellera, cependant, les difficultés suscitées par le décret-loi n°62-17 du 15 août 1962 « sur le travail rééducatif » et par la loi n°78-22 du 8 mars 1978 « sur le service civil ». Destinés apparemment à prévenir des phénomènes tels que l'oisiveté, le vagabondage ou la marginalité, ces textes étaient, de façon constante, jugés contraires aux dispositions des Conventions n° 29 et 105 par la Commission de contrôle de l'application des Conventions et des Recommandations de l'O.I.T. Ces difficultés ont finalement été dépassées à la faveur de l'adoption de la loi n° 95-5 du 23 janvier 1995 « portant abrogation du travail rééducatif et du travail civil».
Le Projet de loi sur le service obligatoire pour les médecins spécialistes vient ainsi replonger notre pays dans des difficultés que l'on croyait définitivement résolues, au regard du respect du droit à la liberté du travail et à l'interdiction du travail forcé. Convient-il de mentionner, sur ce point, les problèmes rencontrés, par exemple, par l'Algérie. Depuis plusieurs années, la commission d'experts sur l'application des conventions et recommandations de l'OIT se dit, en effet, préoccupée du fait de « l'incompatibilité avec la convention n°29 "sur le travail forcé" de la loi du 11 février 1984 relative au service civil, modifiée et complétée par la loi du 19 août 1986 et par la loi du 14 novembre 2006, qui permettent d'imposer aux personnes ayant reçu un enseignement ou une formation supérieurs un service d'une durée de un à quatre ans avant de pouvoir exercer une activité professionnelle ou obtenir un emploi ».
La commission note également que, « ...aux termes des articles 32 et 38 de la loi, le refus d'accomplir le service civil et la démission de l'assujetti sans motif valable entraînent l'interdiction d'exercer une activité pour son propre compte... De même, aux termes des articles 33 et 34 de la loi, tout employeur privé est tenu de s'assurer, avant tout recrutement, que le candidat au travail n'est pas concerné par le service civil ou qu'il l'a accompli sur pièces justificatives... Ainsi, et bien que les assujettis au service civil bénéficient de conditions de travail semblables à celles de travailleurs réguliers du secteur public (rémunération, ancienneté, promotion, retraite, etc.), ils participent à ce service sous la menace d'être frappés, en cas de refus, de l'incapacité d'accéder à toute activité professionnelle indépendante et à tout emploi dans le secteur privé, ce qui fait entrer le service civil dans la notion de travail obligatoire au sens de l'article 2, paragraphe 1, de la convention. En outre, dans la mesure où il s'agit de la contribution des assujettis au développement économique du pays, ce service obligatoire est également incompatible avec l'article 1 b) de la convention (n° 105) sur l'abolition du travail forcé, 1957, également ratifiée par l'Algérie ».
Dans son dernier rapport, le gouvernement indique que le service civil ne concerne que les médecins spécialisés de la santé publique et qu'il a été instauré par nécessité en vue d'apporter les soins spécialisés indispensables aux populations des régions isolées qui n'y ont pas accès. Par ailleurs, le gouvernement signale que, lors de la Conférence nationale sur la politique de réforme hospitalière (février 2011), une réflexion s'est engagée en vue de la suppression du service civil pour ces médecins, et que le but ultime serait de leur laisser le choix d'exercer leur métier dans les secteurs public, privé ou parapublic.
Tout en notant ces informations, la commission « ...exprime le ferme espoir que les mesures nécessaires seront prises pour abroger ou amender les dispositions de la loi n° 84-10 du 11 février 1984 relative au service civil à la lumière des conventions n°s 29 et 105, et que le gouvernement pourra prochainement faire état des mesures adoptées en ce sens » (2).
Se référant à l'ordonnance n° 06-06 du 15 juillet 2006, modifiant et complétant la loi n° 84-10 du 11 février 1984 sur le service civil, la commission « ...réitère l'espoir que les mesures nécessaires seront prises pour abroger ou amender les dispositions imposant le service civil aux médecins spécialisés... ».
Convient-il, au surplus, de souligner que le projet de loi sur le service obligatoire pour les médecins spécialistes vient contredire les dispositions expresses de l'article 6 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, également ratifié par la Tunisie et aux termes duquel « les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit au travail, qui comprend le droit qu'a toute personne d'obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement choisi ou accepté, et prendront des mesures appropriées pour sauvegarder ce droit ...».
Selon le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, le droit au travail implique nécessairement « l'obligation des Etats parties de garantir aux individus leur droit à un travail librement choisi ou accepté... Cette définition illustre le fait que le respect de l'individu et de sa dignité passe notamment par la liberté de l'individu quant au choix de travailler tout en soulignant le rôle du travail dans son épanouissement personnel ainsi que dans son intégration sociale et économique » (Voir Observation générale n° 18, Article 6 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, Trente-cinquième session, U.N. Doc. E/C.12/GC/18 (2006)..
La convention n ° 122 de l'OIT concernant la politique de l'emploi (1964), également ratifiée par la Tunisie, évoque pour sa part le «plein emploi, productif et librement choisi», liant l'obligation de l'Etat partie de créer les conditions du plein-emploi à l'obligation de veiller à l'absence de travail forcé (3).
C'est dire, en définitive, l'urgence absolue de retirer purement et simplement ledit projet de loi sur le service obligatoire pour les médecins spécialistes en ce sens qu'il constitue une véritable atteinte à l'un des principes majeurs des droits de l'Homme au travail et une régression sociale de taille en contradiction avec les obligations internationales de la Tunisie en ce domaine. Le gouvernement gagnerait alors à adopter, en pleine concertation avec les médecins eux-mêmes et leurs organisations syndicales et professionnelles représentatives, les voies alternatives, consistant à investir dans l'amélioration des conditions de travail des médecins dans les zones démunies, sans égard aux différentes formes d'incitation à inventer ou à réinventer pour que les objectifs recherchés soient largement atteints!
13. La Constitution elle-même gagnerait à inscrire plus précisément l'ensemble des droits économiques, sociaux et culturels, y compris le droit au travail décent et librement choisi, pour prémunir durablement les Tunisiens de toute tentative future qui nous ferait ainsi revenir à des pratiques que les Tunisiens tiennent comme étant définitivement révolues ! (4)
C'est à ce prix que la Tunisie pourra s'inscrire durablement dans le chemin de la liberté et des droits de l'Homme et que les citoyens eux-mêmes pourront inscrire éternellement les médecins dans leur confiance !
_________________________
(1) Les autres droits fondamentaux étant relatifs à des droits aussi fondamentaux que la liberté syndicale (convention n° 87), la reconnaissance effective du droit de négociation collective (convention n° 98), l'égalité de rémunération (convention n°100), l'élimination de la discrimination en matière d'emploi et de profession (Convention n° 111), l'âge minimum de travail (conventions n°138) et l'abolition des pires formes de travail des enfants (convention n° 182).
(2) Voir le rapport de la commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations de l'OIT, 2013, page 235.
(3) Voir pour plus de détails, Hatem Kotrane, La Tunisie et le droit au travail, Ed. Sagep, Tunis, 1992
(4) Voir pour plus de détails, Hatem Kotrane, Importance de l'insertion des droits économiques, sociaux et culturels dans les constitutions des pays arabes, publication du réseau des ONG arabes pour le développement, Beyrouth, 2012.
H.K .
(Professeur à la faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis)


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