Moins de 1% des personnes porteuses de handicap sont recrutées, chaque année, dans les entreprises publiques Au lendemain de la révolution, les personnes porteuses de handicap étaient pleines de rêves. Elles avaient nourri l'espoir que le regard porté sur eux changerait, que leurs droits seraient mieux respectés, qu'elles seraient considérées comme des gens normaux. Elles ont vite fait de redescendre sur terre. La désillusion est amère. Rien n'a changé. Bien au contraire. Les obstacles sont partout. En plus d'être marginalisées et obligées de supporter au quotidien le regard pesant et les remarques parfois désobligeantes des gens, les personnes porteuses de handicap, à la recherche d'emploi, voient toutes les portes se fermer devant elles à cause de leur handicap. Lors d'une conférence de presse organisée à l'occasion de la Journée mondiale des personnes porteuses de handicap, Mohamed Mansouri, malvoyant et président de l'Association Bassar, loisirs et culture pour les mal et non-voyants, revient sur les vicissitudes de l'existence des personnes porteuses de handicap, en les évoquant avec amertume. «Nous avions l'espoir qu'après la révolution, les choses allaient changer pour les personnes porteuses de handicap. Avant la révolution, nous avons été instrumentalisés politiquement. Nous servions de vitrine pour refléter la politique sociale de la Tunisie à l'étranger. Toutes les mesures qui ont été prises en notre faveur avaient pour objectif uniquement de montrer aux pays occidentaux que notre pays était soucieux et respectueux des droits des personnes porteuses de handicap. Nous avons été un des premiers pays à l'échelle du Maghreb arabe à signer la convention internationale des personnes porteuses de handicap. Aujourd'hui, nous voulons être actifs dans la société. Nous voulons participer à la vie politique, culturelle... ». Certes, la Tunisie a ratifié la convention internationale pour la protection des droits des handicapés. Oui, des textes de loi ont bien été adoptés en faveur des handicapés. La loi la plus connue est la loi d'orientation du 15 août 2005 relative à la promotion et à la protection des personnes handicapées qui a paru dans le Journal officiel à l'époque. L'article 29 y stipule que 1% des recrutements annuels dans la fonction publique doivent concerner les personnes à besoins spécifiques. Mais la réalité est tout autre sur le terrain. Manel, une jeune malvoyante de 24 ans, licenciée en histoire-géo en a fait l'amère expérience. La jeune femme, suppléante occasionnellement et qui a déposé une demande au ministère de l'Education pour pouvoir enseigner dans un des lycées du pays, n'a reçu, jusqu'à aujourd'hui, aucune réponse positive. «Cela fait plus d'un an que j'ai déposé mon dossier pour enseigner dans un des lycées pour malvoyants, raconte la jeune fille d'un ton triste. Le ministère ne m'a toujours pas fait signe. Pourtant, j'ai obtenu ma licence et j'ai déjà enseigné en tant que suppléante dans un lycée public. L'expérience s'est très bien passée. J'aimerai bien enseigner dans un lycée pour malvoyants car je pense que je suis bien placée pour comprendre la spécificité du handicap de ces élèves ainsi que leurs besoins en termes d'apprentissage. Pourtant, le ministère ne m'a affectée dans aucun poste d'enseignante». Ayant suivi une formation de standardiste, Zouhour, jeune fille malvoyante de 24 ans a déposé son CV dans plusieurs entreprises publiques et privées. Mais sans succès non plus. La jeune fille, issue d'un milieu très modeste, a du mal à supporter son chômage forcé car elle ne dispose d'aucune ressource matérielle. «J'ai obtenu un certificat attestant que je suis apte pour exercer le métier de standardiste. J'ai absolument besoin de travailler pour pouvoir aider ma famille qui est pauvre. Pourtant, bien que j'aie déposé des demandes dans plusieurs entreprises, on ne m'a pas appelée. Je suis certaine que c'est à cause de mon handicap. Malheureusement, le regard des gens porté sur les personnes porteuses de handicap n'a pas changé. On nous considère comme des personnes inférieures qui ne sont pas dotées des mêmes capacités intellectuelles que les personnes dites normales». Selon M. Jrad, secrétaire général adjoint de l'Ugtt, «l'article sur le recrutement des personnes à besoins spécifiques dans la fonction publique n'est pas en train d'être appliqué comme il se doit. Moins de 1% des personnes porteuses de handicap sont recrutés, chaque année, dans les entreprises publiques. Par ailleurs, bien que la Tunisie ait ratifié la convention internationale pour la protection des personnes handicapées, elle n'a, pourtant, pas adapté ses textes de loi aux dispositions de ladite convention. Afin de rattraper ce retard, il faudrait déjà penser à institutionnaliser les droits des personnes porteuses de handicap dans la nouvelle constitution. Il est essentiel que la nouvelle constitution puisse comporter une mention sur les droits économiques et sociaux des personnes porteuses de handicap», observe, à son tour, Mme Raoudha Gharbi, membre de la Ligue tunisienne des droits de l‘homme. «Ces droits doivent être constitutionnalisés et ensuite déclinés dans les lois internes relatives aux divers secteurs et surtout être en conformité avec les conventions internationales ratifiées sur les droits des personnes porteuses de handicap».