La ville phare de l'extrème nord-ouest est connue pour le corail rouge, que ce soit dans l'artisanat ou la pêche. Plusieurs problèmes menacent ces activités Dans la zone touristique de Tabarka, les bijoux en corail sont vendus partout, dans les boutiques ou les vitrines d'appoint installées sur la promenade menant aux aiguilles. Néanmoins, les vendeurs affichent grise mine. Les affaires vont mal dès que les touristes ne sont pas là. Dans sa boutique du centre-ville, Mokhtar Saoudi expose le corail qu'il a lui-même travaillé. Il écoule ses produits essentiellement grâce à la foire de l'artisanat au Kram, et à des acheteurs occasionnels chinois et algériens. «Le travail du corail est difficile. Il faut du souffle et du temps dans ce métier. Le grand problème réside dans la commercialisation. Il devrait y avoir plus d'encouragements pour faire connaître nos produits à l'étranger», dit-il. Chez Mokhtar, toute la maison fait office d'atelier. Dans le salon, on stocke la matière première. Dans d'autres pièces, à l'extérieur, trois employées lissent les petites branches rouges sur des meules. Trois autres les percent avec des mèches fines. Dans la cuisine, un tonneau contenant du corail, de l'eau et des produits tourne en continu depuis sept jours. «J'achète la matière première à des pêcheurs qui trouvent du corail accroché à leurs filets. C'est un corail de troisième choix, le moins cher», confie Mokhtar. Avec les fines branches, il fabrique des colliers et des pendentifs sculptés, vendus entre 15 et 25 DT. Mokhtar travaille également des branches de corail de premier choix, non brisées et plus épaisses. Avec ces branches, il façonne des perles. «Un collier de perles de corail coûte 700DT. Evidemment, ça ne se vend pas», se désole-t-il. Mokhtar a peur que son savoir-faire ne se transmette pas. Il a essayé sans succès d'encourager ses enfants à reprendre le flambeau. Il ne se doute pas qu'un autre danger menace son métier : le manque de matière première. Corailleur, métier en voie de disparition Nabil Fennira, 38 ans, est corailleur et armateur. Cela fait 15 ans qu'il va cueillir le corail à la main sur les fonds rocheux de Tabarka à Kélibia. Avec ses deux bateaux, Coralis et Carthage, il doit s'éloigner des côtes pour travailler de plus en plus dans les eaux internationales. «On ne trouve plus le corail qu'à des profondeurs supérieures à 70 m. Il m'arrive de plonger jusqu'à 120 m de profondeur, la limite règlementaire», assure le corailleur. Face à la raréfaction du corail, les plongeurs prennent plus de risques. «Cette année, il y a eu deux accidents mortels», déplore Nabil. Pour lui, le métier de corailleur est en voie de disparition. Mis à part les dangers, plonger en eau profonde est assez coûteux. «A plus de 60 m, on utilise des mélanges gazeux à base d'hélium. Malheureusement ce gaz n'est pas subventionné. Une bouteille d'hélium coûte 900 Dt et elle est tout juste suffisante pour 4 plongées». Outre son coût élevé, l'hélium n'est pas toujours disponible sur le marché, comme ce mois-ci où ce gaz est en rupture de stock. Nabil, comme la plupart des corailleurs, exporte toute sa production. Mais là encore, un autre problème entrave son travail. «Les autorités essayent de lutter contre la contrebande. Les contrôles à la douane prennent trop de temps. L'export est devenu très difficile. La livraison prend à chaque fois plusieurs semaines de retard», raconte Nabil. Et quand il n'y pas de livraison, tout est bloqué : «Les sorties coûtent entre 5 et 10.000 DT chacune. S'il n'y pas de liquidités qui rentrent rapidement, les bateaux restent à quai». Nabil est peut être l'un des derniers corailleurs en Tunisie. Selon lui, ils sont encore 60 en activités en Tunisie. Il n'y a plus d'écoles pour former de nouveaux corailleurs. D'après Mongi, instructeur de plongée professionnelle à Tabarka, la formation est «en veilleuse» depuis 2004, parce qu'il n'y a plus de moniteurs. «C'est une spécialité qui demande, en plus, un investissement important. Il manque des fonds pour acheter, par exemple, un caisson de récompression et relancer la formation», précise-t-il. Baisse de production Un corailleur peut récolter jusqu'à 2 kg de corail par plongée. La saison compte, au meilleur des cas, 80 jours de plongée. Un lot de 1 kilo de corail mélangé, comportant de belles branches, est vendu entre 2.000 et 3.000 Dt à l'état brut, selon Nabil Fennira. «Le corail est source de devises. Tout est exporté», affirme Mehrez Besta, directeur de l'Exploitation des ressources halieutiques à la Direction générale de pêche et d'aquaculture. D'après le responsable, la plupart des bateaux corailleurs (25) se trouve à Bizerte. Entre Tabarka et Bizerte, les deux principales régions productrices en Tunisie, il y a eu environ 4 tonnes de corail récoltées de janvier à novembre (respectivement 0,5t et 3,5t). En 1981, la production nationale annuelle avoisinait les 25 tonnes. Elle a progressivement diminué pour atteindre les 5 tonnes en 1985 (Santangelo & al, 1993), année où la pêche du corail avec la croix de Saint-André a été interdite en Tunisie (article 2 de l'arrêté du ministre de l'Agriculture du 26 février 1982). «Cela fait plusieurs années que le pays prend des dispositions afin de garantir la pérennité de l'espèce», assure Mehrez Besta. «Le ministère de l'Agriculture a arrêté d'accorder de nouveaux permis d'exploitation, vu l'état des stocks», explique le directeur. «On essaye d'être en accord avec les politiques en vigueur dans les autres pays méditerranéens. On vise à sauvegarder cette ressource qui nécessite beaucoup de temps pour se renouveler et croître (ndlr : entre 0,2 et 1,3 mm par an selon l'habitat)», conclut-il.