Par Fethi Frini De tout temps, elle tient une place centrale dans notre existence. Par tous les temps, elle nous tient à cœur. Mieux encore, elle nous colle à la peau et c'est ça qui nous fait beaux ! C'est de la Tunisie qu'il s'agit, de notre sacrée mère patrie. Et pour avoir longtemps vécu au milieu d'un peuple ingénieux, au sein d'un pays merveilleux mais désormais endolori par des querelles internes stériles qui n'en finissent pas, en proie aussi à de sordides intérêts extérieurs, serions-nous heureux encore de vivre en Tunisie ? Nous en douterions, des fois! Mais, reconnaissons-le, au vu de la réalité, de l'amère réalité, au jour d'aujourd'hui et, au train où vont les choses, où nous mènent les hommes, d'ici-bas, rêver d'être heureux en Tunisie, devrions-nous le préciser encore, est un idéal nettement plus accessible. La Tunisie n'est pas seulement la mère nourricière, c'est beaucoup plus : elle constitue certainement l'armature de notre santé mentale. Nul ne peut ignorer aussi son rôle essentiel dans notre construction personnelle, dans le modelage de notre personnalité, dans la formation de notre identité. Cette construction identitaire se réalise au quotidien, dans les relations aux autres, par interaction certainement, en particulier par la reconnaissance que les autres, nos concitoyens, apportent aux efforts collectifs fournis, aux contributions effectivement réalisées. Mais quand la construction quotidienne est menacée, elle peut donner lieu à une crise d'identité, à une souffrance intense, à un déchirement moral ayant des conséquences néfastes sur la santé de tout un chacun et, partant, sur la société elle-même. Des allures de jungle Force est de constater cependant que le monde, ici-bas, en l'occurrence notre vécu quotidien, a parfois des allures de jungle. Elan révolutionnaire oblige, cela a généré nombre de problématiques. Le contexte actuel, où les libertés sont rudement malmenées et les institutions sérieusement ébranlées, est aggravé par une gouvernance non respectueuse de l'humain, un manque de civisme et une absence d'éthique dans plus d'un domaine et à plus d'un niveau. Ce que nous endurons jusqu'au tréfonds de notre être, ce que nous déplorons, en effet, c'est l'augmentation troublante de faits et, surtout, de méfaits auxquels tout un chacun devrait faire face, très souvent, à notre corps défendant, engendrant immanquablement une souffrance au quotidien. Pourquoi la souffrance vécue est aussi ample, aussi destructrice ? C'est là une question difficile à élaborer face à un phénomène on ne peut plus préoccupant. Cette interrogation lancinante peut amener un concitoyen à penser en son for intérieur : "Si je ne suis pas bien dans ma peau, j'ai si mal, si je ne peux plus tenir le coup, c'est que je suis fragile, c'est que je suis devenu vulnérable". Eh bien non ! Contrairement à ce qu'on peut penser, les personnes qui souffrent le plus ne sont pas les plus fragiles. Ce sont les plus authentiques dans leur rapport aux choses de la vie d'ici-bas... Profondément patriotes, ce sont celles qui ne se laissent pas faire, celles qui ne baissent pas les bras, celles qui dérangent, qui bousculent aussi... Les plus fortes, finalement, parce qu'elles vont à contre-courant. Ces personnes ont des valeurs très fortes, pas nécessairement partagées par tout le monde et sont donc plus touchées que les autres. Mais surtout, elles ont tendance à tenir tête et sont donc la cible idéale du harcèlement moral et, des fois, objet d'agressions physiques sinon d'exterminations... Il faut également souligner que dans les cas de souffrance, c'est souvent le plus compétent qui est le plus profondément touché, car c'est souvent lui qui s'est le plus impliqué, le plus investi, le plus engagé dans son combat quotidien... N'est-ce pas là un vrai paradoxe que de voir drôlement fragilisés ceux dont l'investissement est le plus fort ? L'incompétence, une valeur absolue ? Aujourd'hui, même les plus hautes compétences, tant recherchées, n'auraient guère leur place, ne seraient d'aucune utilité, sinon ne garantissent rien, depuis que l'incompétence, élevée au rang d'une valeur absolue, règne en maître incontesté dans les hautes sphères de l'Etat. Tant et si bien que les gens mènent, désormais, leur vie de tous les jours, vaquent à leurs occupations quotidiennes, vont et viennent, sortent et rentrent, montent et descendent ... la boule au ventre. Tous sont victimes de formes d'organisation, de pratiques, de mentalités devenues de plus en plus persécutrices. La théorie du stress, très souvent appelée à la rescousse, est bien évidemment insuffisante pour expliquer ce qui se passe sur le terrain. Il nous arrive de nous retrouver dans une situation qui nous fait souffrir et dans ces moments-là, nous regardons autour de nous et nous imaginons les autres plus heureux, plus chanceux, pour le moins pénards , dotés de tout ce que nous aimerions avoir... Et de nous interroger : pourquoi nous autres, pour d'honnêtes citoyens que nous sommes, en tant que contribuables tout aussi honorables, pourquoi nous n'avons pas toutes ces opportunités ? Ce sentiment de frustration occasionne une souffrance au quotidien, à l'occasion de séquelles très souvent indélébiles. A l'origine, certainement, nous retrouvons les abus de pouvoir, les excès en tous genres, exercés à l'encontre de larges franges de notre société et qui s'expriment par un comportement contraire à l'éthique visant à les sous-estimer, à le exclure sinon à les humilier...et devenant une pratique amèrement vécue au quotidien. En l'absence d'un code de conduite Parce qu'incapables encore de trouver un modus vivendi, en l'absence d'un code de conduite, d'aucuns, et à plusieurs niveaux, ont tendance à user, voire à abuser d'une situation politique certes, mais aussi économique et sociale, largement compromise. Cela crée un climat à la fois de tension et de suspicion qui entrave la paix sociale dans plus d'une institution, dans plus d'un domaine, lors d'un rendez-vous ou à l'occasion d'une rencontre... Ce phénomène d'ampleur croissante est encore, peut-être bien, insoupçonné, sinon largement sous-estimé par les milieux dirigeants. C'est que la norme « managériale » y est encore à l'infantilisation, à l'irrespect sinon à la méprise des vis-à-vis, qu'on continue superbement d'ignorer, auxquels on fait peu confiance et à qui on ne laisse que peu d'autonomie dans les décisions, peu de liberté dans les mouvements. Dans ces conditions, il est évidemment difficile, pour ces vis-à-vis, de percer, d'évoluer, de s'épanouir, de se réaliser, enfin, de positiver. Car, plus généralement, pour bâtir une communauté solide, une société harmonieuse, pour préserver un pays où il fait toujours bon vivre, en dépit et malgré tout, il faut qu'il y ait un respect mutuel. En ce sens, le respect est associé de près au civisme et à la coopération. "Vivre ensemble" Bien sûr, on peut toujours faire des pansements provisoires, parer au plus pressé, colmater les brèches, mais la vraie solution, à notre sens, est d'inculquer cette valeur du "vivre-ensemble", de bénéficier des avantages et de partager les pertes, ce que, dans le droit des sociétés, on désigne par affectio-societatis, autrement dit la volonté commune entre plusieurs personnes physiques ou morales de s'associer. Et mieux encore : honorer plutôt ses obligations, mûrement acceptées, envers la communauté nationale que de revendiquer inlassablement ses droits, tout légitimes qu'ils fussent, par la force... L'amélioration de la qualité relationnelle dans le monde d' ici-bas ne peut se faire, en effet, que si les chefs, les dirigeants, ceux-là mêmes qui nous gouvernent tout de même, qui gèrent notre quotidien, sont triés sur le volet. Car l'incompétence ne peut engendrer que la médiocrité et, partant, le règne de la médiocratie. De même, tant que nos concitoyens n'assumeront pas davantage leurs responsabilités vis-à-vis de la collectivité, tant qu'ils ne seront pas davantage imprégnés de sens civique, notre société continuera de se porter mal, donnant une large place à l'éreintement émotionnel et à l'épuisement physique. Les gens de chez nous se sentant alors à bout de force : ils n'arrivent plus à donner, se retrouvant alors à bout de nerf, ne sachant plus ou presque où donner de la tête. Déjà qu'ils auraient toutes les peines du monde à obtenir quoi que ce soit de valable, de valide ou de solide...