Les constituants nahdhaouis imposent leur volonté et se partagent le butin de la révolution. Tollé général Comme l'attendaient plusieurs observateurs politiques, les constituants d'Ennahdha et dérivés ont fini par imposer leur volonté, à travers la création, à une heure tardive de dimanche à lundi, du «Fonds de la dignité au profit des victimes de la dictature». En plus clair, ceux qui s'estiment lésés ou se considérant victimes de la répression durant la période allant de juillet 1955 jusqu'à l'adoption de la loi organique sur la justice transitionnelle, votée ces derniers jours, peuvent recevoir des dédommagements matériels et il leur reste maintenant de confectionner leurs dossiers et de se préparer à récolter le butin qu'ils attendent depuis déjà trois ans. Sauf que ceux qui ont voté l'article autorisant la création de ce fonds, ont fait fi de la loi de finances 2014 qui n'a pas programmé de recettes destinées à satisfaire les demandes des «victimes impatientes d'être récompensées». Et la décision «de biaiser la loi de finances 2014, comme l'a souligné Elyès Fakhfakh, ministre des Finances, lui-même à l'ANC» de susciter un tollé général et une grande polémique parmi les constituants qui ont résisté à la fatigue et ont veillé tard pour s'exprimer sur cet article imposé au forceps par les constituants d'Ennahdha. En effet, ils ont été 119 constituants à avoir participé, au final, à l'opération de vote de l'article de la discorde : 87 pour, 13 contre et 19 abstentions. En d'autres termes, sur les 217 constituants que compte l'ANC issue des élections du 23 octobre 2011, seuls 87 constituants sont pour la création de ce fonds et n'ont pas hésité à bafouer la loi de finances 2014 pour y ajouter un article auquel les concepteurs du budget pour le prochain exercice n'ont jamais pensé. «Une simple rémunération dénonçant de la souffrance» Et les réactions à ce «hold-up parlementaire» de se multiplier aussi bien sur les réseaux sociaux que parmi les acteurs du paysage politique national, estimant tous «que le coup était prévisible et qu'il augure bien de ce que fera l'ANC si ses compétences législatives sont préservées après l'adoption de la Constitution». Abdelwaheb Hani, président du parti Al Majd, est tranchant : «Pour moi, c'est une décision prise à la hâte. Elle anticipe maladroitement le processus de justice transitionnelle et le transforme en une simple rémunération de la souffrance, alors qu'il fallait intégrer la réparation légitime des victimes individuelles ou collectives, dans le grand travail qui nous attend de reconstruction de la vérité de reddition des comptes, de réparation des victimes et de la réconciliation pour ressouder la nation». Le président d'Al Majd ajoute : «Les scènes surréalistes nocturnes de dimanche soir ne font que diviser une nation qui cherche son union. La création de ce fonds constitue une violation caractérisée de la loi organique sur le budget, laquelle loi précise que les fonds spéciaux du Trésor sont destinés à permettre l'affectation de recettes particulières au financement d'opérations précises de certains services publics. Procéduralement, cette décision est nulle. Et l'on est en droit de se poser la question suivante : est-il opportun aujourd'hui de faire passer au forceps la création de ce fonds à un moment où le pays traverse une crise financière dont personne ne peut prédire l'issue?» Ils peuvent passer tout ce qu'ils veulent Les constituants du bloc démocratique crient, eux aussi, à la supercherie, dénonçant ce coup de force imposé par les constituants nahdhaouis qui «n'ont pas hésité à flouer même le chef du gouvernement, secrétaire général adjoint de leur propre parti, qui est tombé dans le piège de laisser passer un amendement alourdissant le budget de l'Etat avec des dépenses non programmées à l'avance», comme le confie à La Presse Ali Becherifa, constituant appartenant au groupe démocratique. «Ce qui suscite encore plus notre crainte et notre peur, c'est bien de voir le bloc d'Ennahdha ainsi que ses dérivés faire à leur guise au cas où l'ANC continuerait à légiférer après l'adoption de la Constitution d'ici le 14 janvier 2014 comme le prévoit le Dialogue national. Nous nous attendons à une véritable catastrophe puisque les nahdhaouis et leurs alliés feront adopter tous les projets de loi qu'ils veulent. Je citerai à titre d'exemple les projets de loi sur les habous, l'inscription des électeurs sur les listes électorales (un projet déposé actuellement auprès du bureau de l'ANC en contradiction totale avec les prérogatives de la future Isie), le référendum (déposé aussi auprès du bureau de la Constituante) et sur les mosquées (en gestation actuellement au ministère des Affaires religieuses). C'est pour cette raison que les constituants du bloc démocratique appellent à ce que les prérogatives de l'ANC post-constitution soient limitées au contrôle de l'action gouvernementale et à l'examen et l'adoption des projets de loi soumis exclusivement par le prochain gouvernement. En tout état de cause, il est impératif que le règlement intérieur de l'ANC soit révisé dans le sens d'interdire catégoriquement aux constituants de proposer des projets de loi à l'avenir», indique Ali Becherifa. Les constituants du bloc démocratique pouvaient-ils empêcher les nahdhaouis de faire comme bon leur semble s'ils avaient participé au vote ? «Je ne suis pas sûr que nous aurions réussi à changer les choses. Tout simplement parce qu'Ennahdha et ses fidèles alliés disposent de la majorité numérique au sein de la Constituante», rétorque-t-il.