Avec la chute des islamistes en Egypte et l'affaiblissement de l'islamo-conservateur Premier ministre turc, Erdogan, éclaboussé par un scandale politico-financier, le mouvement mondial des Frères musulmans est acculé à rebattre ses cartes. Il sait qu'il ne lui reste plus que la Tunisie C'est vers cette destination encore ouverte que la confrérie islamiste se serait tournée pour convoquer un congrès secret. Et ce, selon des informations concordantes, du 16 au 19 du mois courant, dans un hôtel de la banlieue nord de Tunis. Sous l'enseigne anodine de la Conférence maghrébine pour le soutien d'Al Qods et de la Palestine, cette rencontre, organisée par le centre Al Maqdissi, interdite aux journalistes et aux photographes, non assortie d'aucun document, ni brochure d'information, se tient encore aujourd'hui. C'est à se demander pour quelle raison, si le thème annoncé est conforme à la réalité, que cette réunion ait lieu à huis clos, que les travaux ne soient ni précédés ni accompagnés de conférences de presse, que l'identité des participants soit dissimulée derrière un écran de fumée. Mystère ! Cette rencontre intervient dans un climat de tension caractérisée au plan sécuritaire, mais politique et social aussi. Certaines pages des réseaux sociaux font état d'un rapport qui aurait été envoyé par la CIA pour alerter les autorités tunisiennes sur une « infiltration de plusieurs dizaines de terroristes » sur le territoire national. Mezri Haddad, ancien ambassadeur de Tunisie auprès de l'Unesco, passant pour être quelqu'un de très bien informé, a confirmé sur une radio la tenue de ce congrès des Frères sur le sol tunisien. Certains invités n'ont pas de passeport Le fait est que des avocats tunisiens ont déposé une plainte auprès du Tribunal administratif, pour tenter de faire interdire la rencontre...sans y parvenir, jusque-là. Parmi ce groupe d'avocats, Maître Slaheddine Hajri. Joint par La Presse, il nous informe que le mouvement Ennahdha continue de nier toute implication, parce que s'il le reconnaît, il s'exposera à des plaintes encore plus graves, pouvant aller jusqu'à la demande de sa dissolution. «Les Frères musulmans sont classés comme organisation terroriste», rappelle-t-il. Quant à la source qui a révélé la tenue de cette réunion mystérieuse, nous révèle encore Maître Hajri, «c'est le site Tanit Presse égyptien. Ce même site avait confirmé, avec la chaîne de télévision émiratie Sky News Arabia, le dernier congrès des dirigeants islamistes, réunis en secret, le 13 juillet 2013 en Turquie ». L'avocat ajoute qu'une liste nominative des invités a été publiée sur le même site. Selon lui, certains participants à la rencontre, dont l'identité est inconnue, n'auraient même pas de passeport et seraient entrés sur le territoire national avec des garanties...». «Cette liste de noms, nous informe l'avocat, figure dans le dossier ». Le plus curieux, s'est-il insurgé, c'est qu'un congrès organisé par le même Centre et sur le même thème se tient actuellement au Maroc, mais cette fois-ci avec l'accord du Roi Mohamed VI et ouvert au public». «Le congrès tunisien n'est qu'une couverture, et il a trois points à l'ordre du jour, détaille-t-il : briser le blocus sur le Hamas, soutenir les Frères en Egypte en cette phase de ratification de la nouvelle Constitution et aider le mouvement Ennahdha en Tunisie à sortir de son isolement. Il faut savoir, se révolte Maître Hajri, que la Tunisie a signé les conventions de lutte contre le terrorisme. Il faut qu'ils sachent que les Tunisiens ne vont plus se taire. Nous avons des morts et le sang de Tunisiens, de soldats, de leaders politiques a coulé à flots. Cela suffit», a-t-il lancé, en conclusion. Pour mémoire, les autorités égyptiennes, après une succession d'attentats sanglants qui ont secoué le pays, avaient officiellement qualifié la confrérie des Frères musulmans d'«organisation terroriste». La Tunisie, ayant signé des accords internationaux relatifs notamment à la lutte contre le terrorisme, se doit de rendre des comptes, si les faits sont prouvés, à la communauté internationale. Le correspondant local est affaibli lui aussi A en croire ces sources, par la tenue de ce congrès, le mouvement Ennahdha a franchi un palier. Il a fini par se présenter sous un jour méconnu par le grand public, une succursale de l'Internationale islamiste. Une annexe liée organiquement au centre. Une filiale qui doit se plier aux instructions de la maison mère. Placées dans la pyramide de l'ordre juridique interne à la confrérie, les instructions « transnationales » émanant des chefs fréristes se situent bien au-dessus des priorités nationales spécifiques. Les chercheurs sur le mouvement depuis sa naissance en 1928 l'ont toujours signalé. Ce n'est d'ailleurs pas un secret. C'est notifié noir sur blanc dans toutes les publications traitant du mode de fonctionnement du mouvement des Frères. L'intérêt suprême de la Confrérie passe avant ceux des nations, puisque le concept même de l'Etat-nation n'existe pas. Seule la nation musulmane compte. Il est un fait avéré qu'après la résistance de la Syrie et la perte de l'Egypte, l'Internationale islamiste est délestée de la mère génitrice, de sa plateforme d'action et de son atout majeur dans les négociations avec les chancelleries occidentales, notamment. Il ne reste plus donc que la carte Tunisie, où les « frères dans l'islam» sont encore aux commandes, et qu'il faudra optimiser efficacement et rapidement. C'est une question de vie ou de mort. Les récentes invitations insistantes du président du mouvement Ennahdha, à l'adresse des Frères égyptiens pour élire domicile en Tunisie s'ils le souhaitaient ne fait que confirmer cette propension à faire de la Tunisie la nouvelle vitrine du mouvement, voire une base de veille, de réflexion et d'action. Il reste un détail non négligeable, les Frères tunisiens doivent, eux aussi, composer avec une réalité tunisienne bien particulière, ils sont obligés de négocier avec une résistance populaire qui ne cesse de s'étendre. Ils doivent enfin justifier un bilan de passage au pouvoir désastreux. Ainsi, le correspondant local de l'Internationale islamiste serait moins bien solide qu'il ne le croit et le fait croire.