Par Raouf SEDDIK L'homme est un être qui se cherche. Et c'est sans doute pour cette raison qu'il a dû commencer par être nomade. Tant qu'il était encore prisonnier d'un milieu particulier, il demeurait de l'autre côté de cette frontière invisible qui sépare l'humanité de l'animalité. C'est en se mettant en chemin, en partant pour une destination qu'il ne connaît pas, comme en réponse à un appel qui sourd de ses tréfonds, que se joue en lui ce grand changement qui nous revient en héritage, nous ses lointains descendants... Un tel nomadisme, contrairement à ce que pourraient nous expliquer les savants de la préhistoire, ne vient pas essentiellement de causes climatiques. Il n'est pas motivé par la recherche de conditions de vie plus favorables, mais par la certitude pour l'homme que le lieu auquel il appartient est dans un ailleurs... En ce sens, la sédentarité relève, au commencement de l'humanité, d'une logique de la halte. En ces époques reculées, on n'est sédentaire que d'une manière provisoire. Une grotte accueillante permet de reprendre son souffle et de réparer les fatigues du voyage qui précède... Puis on repart ! Mais cette vie, à laquelle l'agriculture et l'élevage étaient étrangers, qui était faite bien plutôt de chasse et de cueillette, avait dû poser un problème : que faire des morts ? La question n'avait pas qu'une dimension pratique. Il s'agissait de décider en fonction d'intuitions fondamentales. Première intuition : il n'est pas vrai que le mort ait cessé de faire partie du groupe en lâchant son dernier souffle. Ni qu'il se soit coupé de cette aventure humaine qui consiste à se chercher à travers un ailleurs. Au contraire, il y a comme une communauté qui rassemble morts et vivants, bien que les premiers ne soient plus physiquement agissants... Deuxième intuition : les morts, et certains d'entre eux en particulier, portent en eux l'emblème du groupe, la marque secrète de son unité... C'est en considération de ces éléments que s'est imposée aux premiers hommes la coutume qui consiste à laisser une trace des morts. Et qu'ont commencé aussi les premières expériences d'art funéraire. Les progrès de l'archéologie ont permis de connaître toute la diversité des inventions dans ce domaine. Une diversité qui exprime sans doute les différences, d'une région à une autre, des matériaux existants, mais aussi des outils mis au point et des savoir-faire développés. Cela va en effet des petites constructions en pierre jusqu'aux tumulus et aux pyramides... Mais là, on note que cet art funéraire peut donc évoluer vers le monumental. D'autre part, autour d'un certain culte des morts, s'amorce une tendance à mettre un terme au nomadisme. Comme si, autour du « voyage » de la mort, se cristallisait désormais cette quête de l'ailleurs qui avait été le premier déclic par quoi les hommes s'étaient extrait de la condition animale. Parce que l'hommage rendu au défunt oblige, dans un premier temps, à revenir sur ses pas et, dans un second temps, à envisager de s'établir à demeure autour du monument érigé ou creusé dans la roche, les hommes délèguent à leurs morts le soin d'accomplir pour eux cette quête primordiale, et d'être les nomades qu'ils ont cessé d'être. D'où ces objets divers qu'ils disposent dans les tombes, comme autant de choses qui sont censées accompagner dans la pérégrination... A moins que ce ne soit l'inverse : devinant en leurs morts un pouvoir de mener, encore mieux qu'ils ne sauraient le faire, cette recherche de la « terre promise », ils font le choix de les y aider en leur rendant un culte... Autrement dit, la sédentarité advient non pas parce que les vivants ont délégué aux morts la mission de la quête, mais parce qu'ils ont éprouvé que ces derniers les devançaient sur le chemin. Quoi qu'il en soit, l'art funéraire passe ainsi d'une logique de la trace à une logique de fondation d'une entité politique et religieuse.