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Chronique, Le mot pour le dire : Radioscopie d'une révolution confisquée
Publié dans Tunivisions le 19 - 11 - 2013

« Voilà un texte que j'ai écrit en l'honneur d'une révolution sur le déclin. J'y nomme les auteurs, et les usurpateurs surtout, ceux qui continuent, à longueur d'anniversaires, de sanctifier leur attentat. C'est les dénoncer que de mettre l'accent, une année après qu'ils eurent accompli leur sinistre forfait, sur les annales de leur immense supercherie : douze stances au nombre des mois d'un calvaire qui perdure dans l'horreur ». .
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Il n'y a pas, pour le poète (qui n'est pas seulement le rimailleur, mais celui qui, plus que l'historien, et de manière plus dramatique, porte son regard ardent sur le menu, le ténu, le futile, le dérisoire et le presque-rien, censés être sans conséquence, alors qu'ils sont, pour le commun des humains, l'essentiel de leur parcours) de révolution qui comble le (son) verbe. Son propos est d'absolu, et la glose – toute glose –, y compris celle qui emprunte sa frénésie à la détente et, à l'émeute, son rythme, est l'esclave d'un moment. Un éclair, dirait le poète lui-même, qui éblouit et impressionne le temps que dure la lumière fulgurante qui lui attribue sa parure de miracle.
C'est un grand péché – j'entends une infraction esthétique – pour le chasseur d'éclairs, de subordonner son zèle au vacarme éphémère. Il sait pourtant que rien n'échappe à l'érosion, mais il persiste à croire, lui qui abhorre la foi et son regard obtus, que, de tous les êtres vivants, les mots sont ceux qui résistent le mieux à l'impact de la durée. Il est un autre péché – un sacrilège authentique – encore plus grand : celui qui réduirait L'Albatros souverain à célébrer un cycle, encenser des êtres anonymes et psalmodier, à genoux dans l'arène rassérénée, des versets, assaisonnés d'une ferveur si brûlante qu'elle met le feu au récitant lui-même après avoir dévoré, à belles flammes, les stances ridicules du recueillement.
Il est, dans le chant, un ferment si âpre qui, dans la langue dévergondée, refreine son zèle, l'astreignant ainsi à la loi de la pudeur ou, pour les mécréantes d'entre elles, à la loi redoutable de l'oubli.
Ni prophète, ni messie, ni dragon crachant flammes et vérités, pour réprimer, dans le monde, son élan téméraire vers la chute dans la bête, dans la nuit et la tombe, le poète parle l'idiome de la terre et, des révélations du ciel, n'aime que feux, nuages et sa myriade d'étoiles.
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La plume ne saurait, dans ses serres rigoureuses, contenir la fougue et infléchir l'élan. Si cela était possible, plus rien, sous le ciel, n'échapperait au contrôle du vivant, y compris la mort. Celle-ci ne serait plus qu'une vulgaire incidence qu'il serait loisible, pour l'homme habile (les tyrans, entre autres mystificateurs notoires), de reporter, de travestir ou d'annuler carrément. Il y aurait alors une espèce d'hommes qui ne mourrait plus jamais parce qu'ils continueraient, longtemps après leur éclipse, de se produire sur la scène fastueuse de l'illusion. Leur exploit : un recueil d'atrocités et d'abominations, sublimes et éternelles, diraient, sans broncher, les spécialistes de l'abject.
C'est donc chose inutile que l'artisan, aux prises avec l'alchimie du verbe, se risque à dresser des digues dans le parcours du déluge. Un mot, dans la bouche de l'aède, suffirait à faire tarir l'océan, mais jamais ce mot n'imposerait sa loi à la nature. Il est risible d'entendre les poètes se targuer de devoir – ou pouvoir pour certains d'entre eux tout au moins – déplacer des montagnes pour donner de l'horizon, qu'ils convoitent, une vue impeccable. Les plus modestes se contenteraient de répéter, à qui daignerait les entendre, que l'essentiel est dans l'intention et non dans l'acte lui-même.
Un tir est un tir, qu'il touche ou qu'il rate !
Son verbe à la langue, il rode, espérant, du mystère, surprendre le bouquet, lui, qui sait pourtant que son arme ne blesse que du papier, s'obstine d'asséner bien des coups à la citadelle retranchée dans la parole infaillible d'un ciel indolent.
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S'il devait, pour ne pas perdre la face (sa face, il la perdrait sûrement, et se perdrait tout entier, en cédant à la tentation du thuriféraire) et se défaire du fardeau de sa « négativité sans emploi », l'aède pourrait s'autoriser à crier sur les toits, sa haine du décret, du credo surtout qui brime, dans le verbe, son élan vers les cimes, son faible pour la chair satinée et son engouement pour la lumière.
Aveugle de naissance, le poète s'arrangerait pour ravir aux astres leur éclat perspicace, et parviendrait, dans cet équipage, là ou ses émules se doivent de s'y rendre à la force de l'aile, car il n'y a de sacre, pour le poète, que dans les nues. Mais le mieux, pour lui, serait de concevoir, à même le parchemin, ses cris de martyr ayant survécu à son martyre et d'accepter que d'autres survivants, forts du droit inaliénable de témoins et de gardiens du temple – entendez la révolution elle-même, érigée en culte – poussent des cris bien plus virulents et mettent tout le monde en garde contre tout le monde. Mieux encore, il serait plus inspiré de se mettre devant son miroir (ou son ruisseau) et de s'entraîner à proférer des cris éloquents. Il n'est pas sûr toutefois qu'il excelle dans cette épreuve, son talent consistant dans l'art – combien rigoureux ! – de faire jaillir la vie dans l'architecture faillible des lettres et des formes.
Son œuvre est d'illusion, bien plus évidente qu'un monument, mais tout aussi fragile que ces créatures dont raffole tout le monde et que personne n'a serrées dans ses bras. Le poète, infatigable chasseur, traque, sa vie durant, ces nymphes ravisseuses, mais s'entête sur les traces de Liberté et de sa sœur Beauté dont il soupçonne l'existence jusque dans la Charogne. La révolution est fascinante, pour cet amoureux transi, parce que, de toutes les horreurs, elle est la seule qui dépouille la charogne de sa hideur et lui confère – ô miracle ! – ce parfum de sainteté qui manque cruellement à un vulgaire cadavre.
Il y aurait, dans la mort, une esthétique – une éthique, dirait le saint que la révolution porte sur le trône – qui échappe à l'entendement et qui explique que, de tous les morts, les martyrs sont ceux qu'on discrédite le moins. Peut-être est-ce parce qu'ils sont, de tous les décédés, ceux dont la mort ne semble pas tout à fait inutile. La commémoration, l'unique exercice où la fastidieuse répétition se prétend pertinente, puise sa verve dans cette supercherie.
Dire fastidieusement entame, dans la stance, sa splendeur, son entrain et, dans la mort, attise son appétit. Mieux vaut se taire que d'élever des châteaux de mots qu'aucun frondeur ne prendrait pour cible. Le poète a beau parler, il a toujours l'impression d'être muet quand résonne, dans la cité tentaculaire, la parole.
Ainsi parlait tristement l'aède.
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Vient maintenant le tour de l'intégrité qui empêcherait l'impur (l'immonde diraient des hommes de la trempe d'un Bataille, d'un Beckett ou d'un Cioran) de s'incruster, en toute impunité, dans l'ordre de la pureté, sous prétexte que cette denrée (rare, sinon inexistante) est à la portée de toutes les veines. De toutes les inventions, la révolution est celle qui suscite le mieux, en l'homme, l'horreur de la souillure. Il est normal donc que tous ceux que le hasard a épargnés, et qui se résignent à composer avec la nouvelle Olympe, investie par la légitimité du sang répandu, se pressent devant le purgatoire pour y noyer les attributs de leur honte et repartir, neufs et régénérés, vers d'autres turpitudes.
Or, le poète est, de tous les êtres sensés, de tous les êtres passionnés (la limite n'étant perceptible que pour les saints et leurs cortèges d'hallucinés), celui qui revendique, tout haut, sa turpitude. Il est, de tous les hommes, celui qui se voit, toujours le même, dans le sublime et l'immonde, ayant perdu, dans le commerce éprouvant du verbe, l'illusion d'un angélisme désuet.
Son lot, sa mission, dirait-il des fois, pour tourner en dérision le sublime, qu'autour de lui, cultive l'orateur forcené, haranguant une foule compacte et docile, la pressant, d'une voix austère, de débusquer, au fond d'elle, l'ange ; son lot, à lui, que personne n'écoute est de dire, proprement et sobrement, en l'ange, foule et orateur, sa part maudite.
Ainsi parlait tristement le poète.
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De là sa pudeur de madone (ou de vierge dirait la langue policée, et elle aurait encore tort de vouloir, à tout prix, réhabiliter les évidences caduques), sa pudeur tout court, de s'affubler de la tunique du mage et son refus de s'aventurer dans les dédales du temple où se pavanent des hordes d'illuminés, engoncés dans la nuit de leurs soutanes et leurs barbes, psalmodiant à tue-tête des sentences cabalistiques pour se répandre ensuite dans les artères de la cité, leurs gourdins haut dans le ciel. La révolution, stipulent-ils, ne tolère point les égarés, les hypocrites, les suppôts de Satan, les vicieux, les pervers, les déments et les apostats. À bas le soleil qui éclaire le chemin des ennemis de la Révélation. Pardon de la Révolution !
Les divinités qui, à peine, tolèrent les magiciens de l'affect, s'indignent jusqu'au meurtre quand ceux-ci osent leur ravir le privilège de la flamme. Désormais, il n'est permis à personne de suivre l'exemple de Prométhée. Seul le mage, tête chenue et barbe rabougrie, est admis au rang nécessaire d'intercesseur. Lui seul est capable d'emprunter la langue du ciel et de dicter, d'un oracle à l'autre, les injonctions du moment. Se défaisant, dans le brasier, de ses limites avilissantes d'homme, le mage (qui ne recule devant rien pour dompter ses ouailles), renouant avec l'ange (des fois, avec Dieu en personne), volerait si haut au point d'oublier que l'oiseau seul, de tous les illuminés, sache, de son envol, maîtriser la teneur.
Le poète, à la différence du mage, ne se dirait pas inspiré et condamnerait partant son parterre au silence. Son tort, c'est de se croire autorisé, plus que d'autres, à sonner l'alarme. À la différence du mage, il s'entête dans sa foi en l'humain et, au gré du souffle, chante, sur tous les tons, l'hymne irréversible de la fange, foyer du vivant attelé au parcours. Mais, comme le mage, il est tenté, dès qu'une révolution frappe à la porte, de prêter sa langue à ceux, d'entre ses semblables, qui, prétend-il, seraient, sans lui, restés muets.
De La plume et du Livre, le monde, terrifié par une fin imminente ou par la hantise de se défaire de sa chair pour fondre enfin dans le soleil ; le monde prête donc l'oreille à la scansion envoûtante du verbe antique, se disant qu'il est miraculeux vraiment que la vérité s'y révèle si neuve et si bien à propos !
Son verdict est sans appel.
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Célébrer ne serait tolérable que, dans le cas improbable, où le poète saurait se prémunir contre le risque de pervertir le sublime – à supposer qu'il soit à la portée de l'humain – en le relativisant. Chanter une révolution, c'est en reconnaître la mort tant il est vrai que la célébration est un chant funèbre en l'honneur des victimes – dites, pour la circonstance, martyrs –, immolées, à chaque commémoration, sur l'autel, pour la gloire du sacrificateur, agrippé jalousement à sa durée.
Lui, qui donne la mort d'un bras ferme et résolu, tremble de tout son corps à l'idée – ô combien saugrenue ! – d'être, à son tour, livré au coutelas. Entre la gloire du martyre et la tribune – où il trône sans partage –, le saint homme n'hésite pas un seul instant : il opterait pour la vie et les honneurs, louerait Dieu de l'avoir comblé de ses bienfaits et, les larmes aux yeux, s'agenouille, à même le sol, pour baiser, de ses lèvres ferventes, épitaphes et icônes et d'autres reluques de martyrs.
Il y a quelque chose de malsain dans toute célébration, quelque chose de l'ordre de l'inconséquence ou de la démence qui pousse les vivants, en premier lieu ceux qui ont cueilli les fruits de la révolution, à flatter outrageusement les morts. Cette mystification est d'autant plus scandaleuse que les martyrs, ne pouvant plus parler, n'exigent rien. Encenser un martyr est un exercice rhétorique tout d'abord, économique ensuite, et c'est là son côté le plus pernicieux. Pour les « fêtards », et en particulier pour ceux, d'entre eux, pour qui la célébration est devenue un devoir de routine, le martyr est un capital inépuisable. Ceci dit, le mérite de ce dernier, qui n'exige pas de prix pour son « exploit », est de ne pas être encombrant.
Mais il y a pire, car la célébration, simulacre du travail, réconforterait son auteur dans l'illusion qu'il est, à l'instar des casseurs de pierres, un sujet agissant aux prises avec le métier et l'outil. Or l'écriture est un jeu si inconséquent des fois, que l'artisan, qui s'y astreint, s'interdit même le plaisir du leurre et, pour les plus sobres d'entre ces soldats de la magie blanche que sont les troubadours, jusqu'à l'illusion – somme toute dérisoire par ces saisons de piété littérale et fruste – de se dire thaumaturge.
Un mot est une pâte que la langue, la main également, courtisent sans relâche et, au terme d'une grossesse, accouchent d'un monde informe : la révolution. Paradis pour les martyrs qui ressuscitent une fois par an, le temps d'une cérémonie et retournent, dans leur mort, après avoir ingurgité bien d'oraisons funèbres. Honneur ! Honneur ! Il est un temps pour la gratitude et un temps pour la vie.
Ainsi parlait tristement le poète.
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Il y a encore que la révolution, elle-même inconstante (étant, dans son essence mouvement, précisément celui de la passion se déchaînant), échappe à l'assiduité de ses soupirants dont l'idéalisme la rebute. Il arrive même que, aux prises avec une répulsion irrépressible, elle les précipite dans le premier ravin. De femme, coulée dans la passion brutale de la chair survoltée, l'amoureux transi l'érige en déesse, au dernier degré du panthéon céleste, et toute auréolée de vertueuse clarté, qu'elle finit par oublier, elle qui s'entête à convoiter, dans la moiteur de l'alcôve, les étoiles du firmament, qu'elle n'est qu'une trame de terre et d'eau réunies.
C'est pour cela que tout propos sur la révolution, qui ne sache de son enthousiasme réprimer l'envol, est un mensonge, ou un poème, c'est-à-dire un mensonge encore plus grossier ou, ce qui revient au même, un mythe sordide et affligeant.
Il était une fois une toute petite contrée, sur front de mer, belle comme une sirène, et heureuse dans sa robe toute verte. Un loup survint qui ravagea les champs et décima le bétail ; la providence vint au secours de la malheureuse : une foudre terrassa le maudit. Depuis la petite contrée, à l'abri de sa révolution, se la coule voile et barbe !
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Rappelez-vous que tout a commencé par une gifle : la dignité est là, dans ce soufflet retentissant, affront humiliant pour le mâle qui se fait réprimander – ô honte ! – par une femelle. Puis, il y a eu le feu : un brasier si vif et si beau que l'univers – tout l'univers, nous assure-t-on du haut de toutes les tribunes improvisées – a acclamé, et consacré l'immolé, naguère anonyme, héros, de tous les champions, le plus grand, le plus généreux, surtout que le pauvre se serait sacrifié en pure perte ne pouvant, aux yeux du clergé sourcilleux (le saint, à la barbe rabougrie, et son convoi de satyres), accéder à la dignité du martyr.
Il moisirait donc, en compagnie de la racaille, dans les horreurs infernales, le temps que les divinités vengeresses se décideraient à lui pardonner l'ignominie de son exploit. Ensuite, c'était au tour de la cité, toute entière, de s'embraser. Enfin, la fuite du souverain est venue parfaire le cycle ingénieux d'un sursaut pathétique. Il serait parti sans son sceptre. L'infâme, s'indigne le parterre, se serait souvenu d'emporter, dans ses affaires, le trésor d'Ali Baba.
Ce scénario est avéré, incontestable même, mais le diable, rappellent les tenants de la sagesse, est dans les détails. Il est des voix qui se lèvent de temps à autre, des écrits, se prétendant infaillibles, qui fleurissent dans certaines arènes, des acteurs, doublés de témoins oculaires, qui haussent le ton pour dire, d'un commun accord, que le « miracle » se serait produit autrement, que la providence – ou le simple hasard – est le véritable artisan du sursaut. Des instances occultes, pour lesquelles les dieux (au pluriel comme au singulier) n'ont pas de secret, soutiennent que le cataclysme a été orchestré, d'un bout à l'autre, par le Panthéon qui tient les rênes du monde. Le miracle, si miracle il y a, est son fait à lui. D'ailleurs, qui d'autre, que lui, pourrait, en un tournemain, défaire un empire ?
Aux pantins – qui, jusqu'ici se croient être les héros de la scène –, dont l'amour-propre ombrageux et la langue déliée risquent de s'offusquer de cette terrible révélation, on prend la peine de préciser que c'est leur fureur – leur fureur sacrée – qui a convaincu le panthéon d'épouser leur juste cause.
Mais il y a ce corps frêle, et une flamme, une allumette ou un briquet, le narrateur n'a pas bien relevé ce détail, l'étincelle qui fera d'un homme une torche si puissante, qu'elle dissipera la redoutable nuit. La main fait craquer l'allumette, sans un mot, sans un regard pour les spectateurs ahuris, sans se soucier du ciel qui multiplie les signes, sans prêter l'oreille à la peur qui bouille, en lui, l'implorant de retourner à ses fruits, à la vie qui n'est pas aussi rude qu'il le croit.
Sa main se fige l'espace d'un instant, la foule retient son souffle. Et s'il renonçait à sa folie ?! se demandent des hommes et des femmes que l'horreur fascine. Lentement, la main s'abat sur la tête dégoulinante de fureur, et les cheveux crépus s'embrasent aussitôt. L'instant d'après, l'incendie fait rage. Enveloppé dans son manteau rougeoyant, l'immolé se dit, cruellement déçu, que le mythe est l'opium du pauvre.
Son feu, à lui, il vient de s'en rendre compte à l'instant, n'a rien d'une brise fraîche et revigorante !
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L'historien, dont le souci est de débusquer, dans le récit, le souffle de la fable, trouverait, dans cette si belle épopée, matière profuse et l'étincelle d'une réforme nécessaire (salutaire ?), le poète, lui, n'y retiendrait que le sensationnel, c'est-à-dire la fiction. Quoiqu'il fasse, à supposer même qu'il se résigne à faire œuvre de chroniqueur, le poète n'engendrerait qu'un poème, une fiction, dirait-il, en guise d'excuse. En fait, un mensonge grossier, si attrayant pourtant, et tout semblable aux savoureuses compilations antiques qui hantent les grimoires vénérés par la horde.
Un homme est mort hier, une nation renaît le jour d'après : La mort est source de vie, mieux encore, corrige le saint du haut d'une nue, la vie est la mort, c'est cela même que nous enseigne l'Histoire.
Et le saint home d'ajouter exultant : La révolution nous a ouvert les yeux sur cette étourdissante vérité : Pour renaître à l'au-delà, il faut mourir à la vie.
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Le discours de la révolution, se voulant être un discours où la vérité est sans partage, ne souffre aucune réserve. Car il est fatal, pour son intelligence, que la vérité lui fasse défaut. Voilà pourquoi toutes les révolutions s'arrangent, par d'innombrables moyens – stratagème serait plus juste – d'attester leur authenticité. Pour certaines, les plus vieilles, et pour cela les plus pernicieuses et les plus virulentes, la caution de vérité est une instance céleste (immatérielle, mais tellement évidente !), totalement acquise à leur cause. Pour les autres – toutes les autres –, c'est le sang qui leur confère leur légitimité.
Une chose est sûre : il est difficile, voire impossible, de vérifier la véracité des faits qui fondent une révolution. Plus grave encore : dans le parcours de chaque soulèvement, il y a un ou plusieurs mensonges attestés que personne n'ose dénoncer comme tels, et qui ne tardent pas, l'affabulation aidant, de devenir le noyau dur d'un mythe irréfutable. Il semble en effet que la révolution ne puisse s'épanouir et s'institutionnaliser qu'à ce prix, en l'occurrence une bien curieuse substitution en vertu de laquelle le mensonge, pourtant connu de tous, évince la vérité. Cette règle, que d'aucuns taxeraient d'immorale, vaut aussi bien pour les religions que pour les idéologies mobilisatrices où le triomphe est tributaire d'un agent, et d'un seul, respectivement Dieu et un héros exemplaire.
Au début, la rue appelle à la dignité, la vraie vie : Une main utile et l'horizon dégagé. A la fin, un dément avec une barbe pour visage, au nom de la rue, qui l'a hissé sur le trône, prône que la rue soit écartelée, coupée en quartiers, et, pieds et mains amputés, d'être crucifiée jusqu'à la dernière goutte de sa sève révolutionnaire.
Dieu le veut, d'ajouter froidement, la voix autorisée de la rue.
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Dans les calculs des vainqueurs d'une révolution (qui ne sont pas ses promoteurs, plus clairement ses artisans), leur combat, dont la mort est exclue (sinon, ils iraient grossir les rangs des martyrs) est un investissement dont ils tireraient, à court ou à moyen terme, le profit. Leur geste, promue à la majesté d'une épopée, emprunte au sacrifice sa gravité. C'est dans ce sens que le survivant du despotisme, ce miraculé de l'oppression, se voit lui-même et se veut être identifié comme un martyr ressuscité. Celui-là, et ses congénères voraces, sont les vampires impitoyables de la révolution et des bataillons d'illuminés qui l'ont rendue possible.
La dialectique du geôlier et du détenu, qui propulse la victime sur le trône de son bourreau, supplanterait, dans ce contexte précis, celle du maître et de l'esclave. Et de fil en aiguille, à la révolution littérale, une sorte de dynamique brutale, sauvage et insaisissable, se substitue une autre, de plusieurs siècles son aînée où l'ethnie et le culte sont déjà établies en institution. Aussi l'antique évince-t-il le moderne, l'inertie supplante-t-elle le mouvement, et, pour terminer, l'absolu se substitue-t-il au relatif. C'est là le parcours inexorable de toute révolution, dans lequel, semble-t-il, le progrès n'évolue pas toujours linéairement. Il arrive souvent qu'il évolue dans le sens contraire et préfère la nuit au soleil.
Au début, une banderole blanche, haute dans le ciel, avec, bien au centre, un vocable et un seul : Liberté. A la fin, le ciel tout entier, à même la terre, avec, bien au centre, à même l'éden, un slogan et un seul : Au ciel soumettez-vous.
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Il reste à considérer un point, un détail en somme, mais, de tous les précédents, le plus important. La répulsion que le poète cultive à l'égard de la célébration, et de son rituel nauséeux, est le fruit d'une incrédulité incurable. Ce mal magnifique, il l'a hérité du philosophe qui s'étonne devant tout, surtout devant l'évidence la plus flagrante. Sans cette tare, salutaire en somme, le philosophe se serait détourné de la terre pour s'abîmer dans la contemplation du ciel et se serait, tôt ou tard, précipité dans un trou !
Le poète, lui, que l'abstraction du philosophe rebute, mais qui ne répugne pas à la magie que secrète toute composition, s'emploie à magnifier la terre, et le ver de terre qu'il est. Un baiser, une étreinte sont, à ses yeux, des révolutions aussi riches en périodes et en épisodes que la plus ingénieuse des confrontations. Pour le poète, et pour les artistes d'entre les philosophes, l'unique révolution qui vaille est la vie, toute la vie, c'est-à-dire, tout à la fois, le sublime, le trivial, le noble et l'obscène. C'est que la vie ne se dérobe jamais quand il lui faut dire son mot. Et son propos est que l'homme est un être pour qui la lumière du soleil est une nécessité vitale. Ce n'est que mort qu'il peut – mais quel mérite aurait-il dans ce cas ? – se défaire de cette malédiction.
Ta main dans la mienne, ton regard, si pétillant, si clair, m'insuffle la foi en la chair, notre ici-bas, et notre au-delà, la chair qui t'a faite femme, c'est elle-même qui m'a faite mâle.
Ainsi parlait l'aède, glorifiant sa dulcinée.
La révolution, s'égosille le mage hirsute, entend honorer la chair – ô combien faible ! –, faites-vous donc invisibles, laids et repoussants, et vous serez sauvés !


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