Des bouleversements sans précédent secouent la société tunisienne. Le phénomène, déjà perceptible depuis la fin des années 90, a pris des proportions encore plus grandes avec l'avènement de la «démocratie» qui, semble-t-il, signifie chez le commun des Tunisiens : faire ce qu'on veut là où on veut et sans contrainte aucune. Autrement, quelle explication peut-on donner à cette anarchie comportementale qui a déferlé sur le pays? L'incivilité est le point commun de la majeure partie des Tunisiens de tous les âges et parmi les deux sexes. Ce qui est encore plus grave, c'est que le problème est général et ne concerne pas une catégorie sociale ou une tranche d'âge, ou plutôt les hommes et non les femmes ou vice versa. Le mal de l'incivilité est partout, même dans l'espace : villes, villages ou campagne sont atteints par ce mal aux conséquences ravageuses au présent comme à l'avenir. L'agression sous toutes ses formes est sa principale caractéristique. Agression dont les victimes sont principalement les valeurs qui nous permettent, nous autres citoyens de ce pays, de vivre ensemble et nous accepter les uns les autres avec nos différences multiples. Et quand on se permet de bafouer la loi, tout marchera de travers entraînant tout dans le précipice. C'est ce qu'on craint le plus de nos jours, avec le non-respect de tout ce qui a rapport avec les règles qui régissent la vie en commun. Agression des valeurs! La rue est aujourd'hui le théâtre de tous les excès. Tout est permis: les constructions anarchiques, l'occupation des espaces publics par des guérites, où on pratique toutes sortes de commerce licite ou illicite, les étals sur les trottoirs et à même la chaussée — partout là où on passe —, le changement de vocation de plusieurs constructions destinées à l'habitation, dont les façades sont devenues des commerces de volaille, de légumes, et autres, d'où ruissellent saletés, graisses et relents de mauvaise cuisine. Les espaces verts ont été purement et simplement détruits pour devenir des dépotoirs où sont amoncelés détritus et immondices. Nos rues, celles de la capitale et celles des villes intérieures, sont dans un tel état de désolation qu'on en est devant cette lancinante interrogation: qu'avons-nous fait de notre beau pays qui, jusqu'à une date récente, comptait parmi les plus propres du continent? Quel gâchis d'assister à une destruction à tout ce qui faisait la fierté des Tunisiens ! Et il semblerait au vu de ce qui se passe et de l'insouciance qui règne que l'on se complaît dans l'insalubrité et le mauvais goût qui ont défiguré le paysage et pollué l'environnement. A cela s'ajoute un autre comportement non moins répréhensible et qui se généralise parmi toutes les couches sociales, celui du non-respect de la loi affiché avec arrogance. Cela devient une manière de se faire remarquer, de se faire respecter aussi, puisque plus on bafoue les lois plus on est redouté. Sur la route, le code régissant les rapports entre conducteurs et ceux-ci avec les normes de conduite fait partie de la préhistoire et gare à celui ou celle qui ose faire montrer la moindre désapprobation. Lois piétinées! C'est la loi de la jungle et celle des bandits qui s'affichent comme tels qui règnent sur nos routes où chacun fait ce que bon lui semble et se comporte comme s'il était le seul usager. En Centre-Ville et devant les agents de la circulation on grille les feux, on ne marque les arrêts obligatoires, emprunte les sens interdits ou ne cède pas la priorité ou empiète sur la voie du métro. Sur les grands axes, on dépasse en ligne continue, on se soule en conduisant, et on se permet de vous jeter les canettes de bière à la figure. Trop c'est trop avec cette indiscipline et ces comportements qui vous agressent à longueur de journée, là où vous vous trouvez. Les rares gens élevés dans la correction et le respect de la loi sont considérés comme des êtres d'un autre âge et dépassés par cette nouvelle espèce qui a envahi la cité. Une cité sans lois ni valeurs. Une cité livrée à elle-même et aux casseurs et malfaiteurs de tout acabit. Le tableau dressé est certes sombre, mais nous n'exagérons en rien une réalité que nous subissons dans notre quotidien, et qui nous rend sceptique quant à l'avenir de ce pays. De tels agissements ne sont pas de nature à nous rassurer sur son futur d'autant que du côté du pouvoir on laisse faire et on donne l'impression de ne pas se rendre compte de la gravité des dérapages qui s'opèrent dans la société et des grands dangers qui guettent les générations à venir. Et on continue sur nos chaînes TV et nos radios à débattre du sexe des anges alors que le pays va à la dérive.