• C'est un peintre qui a le génie d'accumuler une longue liste d'intéressantes expositions qui lui ont valu l'admiration des critiques, le respect des autres artistes et les faveurs des galeristes En ce moment précis où la mondialisation et les communications instantanées bouleversent les données, il est difficile de croire que la question globale du multiculturalisme attend encore d'être définie. Aussi, Ahmed Souabni a-t-il pris les devants en décidant de ne point s'expatrier, histoire de protéger son art des influences venues d'ailleurs. Cela a contribué à donner à son œuvre un caractère assez particulier et à lui fournir les inspirations, les suggestions thématiques et des formulations stylistiques qui ont établi solidement sa réputation. C'est justement pour signaler la valeur de cette autonomie et la variété de ses thèmes qu'il a été primordial pour Ahmed Souabni d'aller chercher son inspiration dans la tradition figurative du patrimoine ou dans l'iconographie populaire. Cette inspiration ou enthousiasme créateur est en quelque sorte un souffle qui s'oppose au style folklorique, à la peinture de bazar aux desseins bassement mercantiles qui, a priori, sévit aujourd'hui dans nos mœurs picturales. Loin de lui l'idée de dédouaner la mémoire, Ahmed Souabni demeure cependant lié aux courants de recherche contemporaine dont il se sert comme moyen de défense contre le folklorisme ambiant et, aussi, de catalyseur de sa propre sensibilité. Les nouveaux horizons d'une création sans compromission Né en 1944 à Djerba qu'il quittera avec ses parents en 1946 pour s'installer à Hammam-Lif, Ahmed Souabni aura vécu la période de transition (les années 1960) avec tout ce que cela implique comme tendances œuvrant pour un compromis entre les orientations occidentale et orientale. Des tendances qui flattaient avec un immense succès (chose surprenante) les goûts des touristes et des nouvelles classes de parvenus. Il a été un des premiers, alors qu'il n'avait pas tout à fait 25 ans, à s'opposer à cette peinture spontanée couleur locale que Moncef Badday définissait en 1973 comme «magma folkloriste de miniaturistes de souk». Sous l'impulsion d'une renaissance de l'art pictural et en réaction contre le passé colonial et les carences de certains technocrates, des intrus sans qualité ou mérite, quelques jeunes loups dont Souabni, Brahim Azzabi, Bouabana, Abderrazak Sahli tentent d'ouvrir de nouveaux horizons dans un florilège d'œuvres et de créations qui démystifiait tout paternalisme néocolonial, en mettant en avant diverses recherches sur le patrimoine iconographique des arts populaires qui s'étaient vus jusqu'alors confinés dans la sphère de l'ethnographie coloniale. La quintessence d'une expression poussée à ses limites Ahmed Souabni ne tarit pas d'éloges sur ses anciens professeurs, les premiers à l'avoir encouragé et soutenu : Gilbert Zitoun, de Hammamet, son professeur du lycée Alaoui et grand peintre qui a cru en lui et l'a incité à développer ses dons et cette disposition naturelle pour la peinture. Plus tard, à l'école des Beaux-Arts de Tunis, Hédi Turki et Khélifa Cheltout, ses professeurs, profondément convaincus du talent de leur élève, qui était prometteur, se sont arrangés pour l'encadrer. A le croiser dans la rue, on remarque son sourire rayonnant, cet air un peu débonnaire ou bon enfant et ce visage entièrement tourné vers le pôle solaire de la vie. Ahmed Souabni porte continuellement la marque de l'amitié et de la générosité. Il a une capacité formidable à réconforter les autres par un appétit insatiable de la vie ; son bonheur suprême est de faire partager la joie autour de lui. Artiste entier et d'un caractère intransigeant qui ne supporte pas les compromissions entre les aspirations esthétiques et les exigences pratiques, il peint avec émotion et sentiments. Il affirme sa personnalité dans un style fougueux et coloré (cavalcades, chevauchées, cavaliers, hennissements et étalons). Un style aussi expressif dans la plénitude sensuelle de ses nus que dans le maximum d'intensité et de vibrations chromatiques de ses natures mortes et ses bouquets. Sa renommée grandit avec cette technique, apparemment nouvelle, consistant à appliquer par touches successives des espèces de taches, d'éclaboussures en glacis légers. Cela a pour effet de donner à la matière picturale un pouvoir de suggestion inédit et dégagé au profit d'un réalisme attentif. Ses portraits, des fusains travaillés à l'estompe, sont remarquables de précision et d'exactitude dans la restitution des traits. Particulièrement ceux de Zoubeïr Turki, Mohamed Ghalia, de Caliga et d'une grande diva de la chanson tunisienne sont plus que surprenants. Ahmed Souabni a fait ses débuts dans le domaine de l'illustration des contes pour enfants à la Société tunisienne de diffusion. Plus tard, il s'est consacré à l'enseignement des arts plastiques. Par ailleurs, il a eu l'insigne honneur de voir la philatélie s'intéresser à ses œuvres. En effet, le ministère chargé des Communications a sélectionné deux parmi ses œuvres «Le dromadaire» et «Le Parc national de Boukornine» pour figurer sur des timbres de «premier jour d'émission». Ainsi donc et en conclusion, la peinture de Souabni a tout du reflet brillant et chatoyant des pierres précieuses. De ce fait, elle peut être perçue comme la quintessence, le nec plus ultra d'un art poussé jusqu'aux frontières de la discipline.