Les poissons et les fruits sont des produits périssables. Leur consommation obéit à un certain nombre de règles d'hygiène dont on ne peut se départir. Il y va de la santé des consommateurs et cela exige une rigueur sans faille de la part de toutes les parties prenantes, notamment les vétérinaires et les agents de la santé chargés du contrôle de ces produits proposés à la vente. Le contrôle doit se faire à partir des marchés de gros jusqu'aux étals de détail. A ce niveau, il y a beaucoup de manquement à la rigueur requise et de défaillance dans l'application de la réglementation en vigueur. Et là nous parlons en connaissance de cause, de par notre fréquentation et notre maîtrise des tenants et des aboutissants du circuit qui commence au marché de gros pour finir chez le marchand de détail. Nous savons que des produits avariés, voire complètement pourris, sont autorisés à la vente avec la complicité de plus d'un intervenant. Ces mêmes produits, nous les retrouvons ensuite exposés et proposés aux consommateurs. Toutefois, il y a plus d'une technique et d'un artifice utilisés pour induire en erreur et leurrer le pauvre consommateur. L'arnaque ne se fait pas seulement au détriment de la qualité, elle l'est aussi au niveau des prix. Là aussi, on joue sur la facturation. Et c'est tout un art dont on use pour tromper la vigilance aussi bien du contrôleur municipal des prix que des clients qui ne se rendent nullement compte de la supercherie. De l'art de la supercherie ! En Tunisie, pour les fruits, le problème du calibrage se pose depuis des années, mais rien n'a été fait. On laisse faire et à dessein, mais c'est toujours le consommateur qui est victime. Et qu'on se le dise clairement : avec la loi et sa rigueur et encore! Au premier maillon de la chaîne nous retrouvons l'agriculteur qui rechigne au calibrage. Il préfère vendre pêle-mêle en enjolivant le dessus de ses cageots par les meilleurs fruits, mais ceci n'échappe pas au marchand fruitier, pour qui c'est l'occasion de négocier au plus bas le prix du produit. En parallèle, ce même fruitier se fournit en marchandise de qualité supérieure — il y en a et son prix est fort. A son étalage de détail, au lieu de laisser la marchandise dans les cageots, il l'expose de manière savante, question d'appâter le client. Les meilleurs fruits sont mis au-devant de l'étal, ceux de moindre qualité, avariés ou pourris, sont cachés à la vue du client. Il faut préciser qu'avant de procéder à cette mise en scène, notre bon fruitier a déjà pris ses dispositions en mêlant fruits de bonne, de moyenne et de mauvaise qualité pour enfin afficher le prix de vente le plus élevé, marge bénéficiaire comprise. Au passage du contrôleur des prix, c'est la facture (ou quitus) de la marchandise achetée au prix le plus fort qui est présentée. Tout est en règle et la couleuvre est bien avalée par tout le monde. Du côté des poissonniers, ce sont les mêmes pratiques ou presque qui s'observent. Mais la question est plus délicate pour ce produit, les poissons sont encore plus dangereux pour la santé que ne le sont les fruits. Pour les produits de la mer, le contrôle vétérinaire au marché de gros ne doit pas faire l'objet de marchandage ou de concession de la part de ceux qui sont chargés de veiller sur la santé des citoyens, en qui ils ont confiance. Or, ce n'est pas toujours le cas, nous avons été témoins de certaines scènes du genre. Par ailleurs, pour ces mêmes produits, les normes d'hygiène exigent que l'on mentionne si les poissons exposés proviennent des frigos ou sont frais. Car le produit déjà frigorifié ne pourra pas l'être de nouveau. Et, étant donné ce manque de précision, la plupart des ménagères recongèlent ce qu'elles achètent le week-end pour le consommer en cours de semaine. C'est contraire à la santé et à une alimentation saine. Mais qui s'en soucie? A cela s'ajoutent bien sûr les techniques de tromperie observées chez les fruitiers, et qu'on retrouve chez les poissonniers qui vous exposent leurs poissons en petits tas, au lieu de les présenter dans leurs cageots. On ne vous sert jamais qu'à partir de ce qu'on a soigneusement étalé, avec bien sûr ce qui est pourri, entremêlé et bien dissimulé par les poissons frais. Cette technique, observez-le bien, est utilisée pour le merlan et le rouget notamment —poissons délicats et très vulnérables—; pour les daurades, loups et autres mulets, on ne s'en sert pas. Mais essayez de faire la moindre remarque et demandez qu'on vous montre le ventre d'un merlan ou d'un rouget, et vous verrez le déluge d'insanités, d'injures dont on vous gratifie. Des scènes du genre sont monnaie courante, mais c'est toujours le poissonnier ou le fruitier qui a le dessus car, à la moindre altercation avec un client, tous les marchands de la place font corps avec leur compère. Et en bon client qui se respecte, on doit se faire tout petit, s'en aller la queue entre les jambes et filer sans demander son reste. Ce n'est point exagéré. Ce tableau est la réalité même de nos espaces commerciaux et de nos rues où la loi est bafouée avec une société qui est largement complice par son silence et une autorité qui laisse faire.