Maillon indispensable du tourisme tunisien, les agences de voyages n'ont pas été épargnées d'une crise que traverse le secteur touristique, depuis la révolution. A deux mois de l'assemblée générale élective, Mohamed Ali Toumi, président de la Fédération tunisienne des agences de voyages (FTAV), garde le cap et semble très optimiste quant à l'avenir du secteur. Interview. A deux mois de l'assemblée générale élective, quel bilan faites-vous, de votre présidence de la FTAV, depuis juin 2012? J'ai pris les rênes de la Fédération, en juin 2012, après des élections transparentes et démocratiques, les premières depuis la création de la structure. Depuis, plein de dossiers ont été réglés. Il s'agit tout d'abord des refontes des statuts de la FTAV, où on a limité le mandat du bureau exécutif à deux mandats. Ensuite, on a beaucoup travaillé sur la restructuration de la FTAV et nous l'avons consolidée et mieux organisée, que ce soit au niveau moral ou financier. La FTAV a été présente, au cours des dernières années, dans l'ensemble des évènements touristiques organisés dans le pays. Sans compter qu'aujourd'hui la FTAV dispose de deux logiciels et d'un site web dynamique, qui constitue une vitrine aussi bien du pays que de la Fédération et c'est aussi un support de communication interne. La FTAV se doit d'être une organisation forte, et ce, en construisant une vraie synergie où le rapport des forces sera équilibré. Nous devons être forts pour pouvoir relever les défis qui nous attendent. D'ailleurs, sous d'autres cieux où le tourisme marche bien, c'est là où la filière des agences de voyages est puissante, à l'instar de l'Espagne ou encore de la Turquie. Autre bataille gagnée, par l'actuel bureau exécutif, c'est la libéralisation partielle d'«El Omra». Ceci nous a permis de gagner au niveau des prix avec l'installation d'une compétitivité au bénéfice des pèlerins. L'objectif demeure d'atteindre la libéralisation totale, à l'instar de ce qui se fait dans le monde entier. Ce «nouveau» produit a réconforté nos adhérents et leur a apporté un nouveau souffle. Aujourd'hui, 39 agences de voyages sont conformes aux cahiers des charges. Et qu'en sera-t-il de la société de Gammarth ? Est-elle appelée à disparaître ? Pas du tout. Elle peut toujours exister, demander un agrément d'agent de voyages et jouer le jeu de la concurrence. La société compte plusieurs compétences et elle ne mérite pas de disparaître. Mais la concurrence loyale est la seule garantie de réduire les prix, d'améliorer la qualité des services... Le temps du monopole, à mon sens, est révolu. Est-ce que vous comptez vous représenter pour un second mandat ? Oui, je me représenterai pour un second mandat à la tête de la FTAV. D'autres dossiers restent à résoudre, et d'autres projets ambitieux restent à réaliser, dont, essentiellement, faire de la FTAV une organisation forte, indépendante et innovante. Mon souhait est de continuer ce que nous avons entamé avec le bureau exécutif actuel et notamment faire avancer un des projets les plus ambitieux pour la profession du tourisme, en général, l'Union tunisienne des métiers du tourisme (UTMT). Depuis le temps qu'on en parle, ce projet n'a toujours pas vu le jour ? Le projet a été initié par la FTAV et la FTH, sous la présidence de Mohamed Belajouza, un grand professionnel et grand stratège du tourisme. Néanmoins, l'Union tunisienne des métiers du tourisme sera ouverte à l'ensemble des métiers du secteur et pas uniquement aux agents de voyages et aux hôteliers, soit tous les métiers qui ont un lien direct ou indirect avec le secteur : les transporteurs aériens, maritimes, les restaurants, les centres d'animation, les magasins d'artisanat, les guides, les exploitants des parcours de golf, les centres de thalassothérapie, de SPA... Il est nécessaire, aujourd'hui, que les métiers s'organisent juridiquement en structures professionnelles pour être, tous, fédérés sous la houlette de l'Union tunisienne des métiers du tourisme. Le rassemblement de l'ensemble des professionnels du tourisme dans une seule structure ne peut que consolider notre position; notre dialogue et nos négociations seront plus riches, notamment pour la promotion du tourisme et de la destination. On rappellera que nos problèmes sont transversaux et qu'ensemble, on les résoudra mieux. Ceci étant dit, la structure de l'Utmt ne serait, en aucun cas, en conflit avec les centrales patronale et syndicale, en l'occurrence l'Utica et l'Ugtt, qui demeurent des structures solides. Quels sont vos pronostics pour la saison 2014 ? On compte sur une reprise cette année. En tous les cas, les chiffres, jusque-là ne sont pas mal du tout, notamment au niveau des réservations sur nos marchés traditionnels. On espère vivement que la roue continue à tourner. On voudrait ramener les touristes certes, mais on ne veut pas se contenter de les cloîtrer dans les hôtels. Bien au contraire, on voudrait leur faire découvrir le pays. Et pour cela, le préalable sécuritaire et l'amélioration de l'environnement constituent des impératifs certains. Je saisis cette occasion pour lancer un appel à tous les professionnels du tourisme : la réussite de la saison 2014 est tributaire, outre de l'élément sécuritaire, des efforts de l'ensemble des professionnels. On compte justement sur le rôle de chacun, du PDG à la femme de chambre, au concierge, à l'accueil à l'aéroport... ce ne sont que des petits gestes mais qui sont bénéfiques pour l'image du pays. En tout état de cause, nous relevons avec satisfaction que l'administration du tourisme, avec à sa tête Amel Karboul, a pris le taureau par les cornes. Elle accorde une priorité absolue aux dossiers urgents. Les résultats sont là. A mon avis, elle fait l'exception, par rapport au reste des responsables qui ont dirigé l'administration. Elle a apporté une nouvelle manière de faire. Elle est notamment disponible, attentive, à l'écoute des professionnels et des problématiques du secteur. Mieux, elle intervient assez souvent, auprès de ses collègues du gouvernement, pour faire avancer les choses. Certes, la situation est loin d'être réglée, mais les démarches semblent engagées et la bonne volonté y est. Mais la bonne volonté à elle seule n'est pas suffisante, il faut aussi un budget conséquent pour assurer la promotion de la destination. Justement, concernant la promotion de l'image de la destination, celle-ci reste globale. On a du mal à voir des spots, ou de la communication par produit, alors que la Tunisie offre certains produits de manière exclusive, à l'instar du tourisme saharien ? C'est tout simplement une question de budget. Il faut beaucoup d'argent pour régionaliser la promotion et mettre en valeur chaque produit et chaque région. Le rêve de tous, c'est d'arriver un jour, à commercialiser chaque région et des produits de manière indépendante. Une promotion globale ne met pas en évidence tous les produits. Néanmoins, faute de budget, on n'y peut rien. Pour donner un exemple, l'ensemble du budget de la destination Tunisie est l'équivalent du seul budget consacré par le Maroc au marché français ! Il est impératif que le budget se consolide. Comment ? Par quel moyen ? Il faudrait que tous ceux qui vivent et profitent du secteur payent, et non pas uniquement les agents de voyages et les hôteliers. Il faut qu'ils contribuent tous à la promotion : banques, transporteurs, aéroports, compagnies aériennes, maritimes, taxis artisanat... La loi de finances 2013 a prévu une nouvelle taxe, certes, pour renflouer les caisses. Cependant, elle ne concerne, encore une fois, que les hôteliers. C'est la taxe de séjour, d'une valeur de deux dinars par nuitée. Si on est d'accord sur le principe de l'imposition de cette taxe, il n'en demeure pas moins qu'elle est faussée. D'abord, le marché interne n'a pas été exclu de cette taxe, il ne bénéficie pas d'une exception. Ensuite, la Tunisie est une destination de touristes seniors par excellence, notamment en basse saison. Ces touristes passent pratiquement tout l'hiver dans nos hôtels. Et une taxe de deux dinars sur trois mois, par nuitée, pèsera lourd dans le budget. Vous êtes d'accord pour l'instauration de cette taxe, mais vous avez un problème avec son mode de perception... Effectivement. On n'est pas du tout contre le principe. Mais si elle reste ainsi — recueillie par les hôteliers, en l'intégrant dans le prix de la nuitée —, c'est une catastrophe. De toute façon, les TO n'accepteront jamais de la payer, et c'est l'hôtelier, encore une fois, qui aura à sa charge cette nouvelle taxe. Et ça n'a aucun sens. Il faut changer son mode de perception. Il y a d'autres moyens plus efficaces et plus rentables. Il serait plus utile de payer la taxe aux frontières, soit à l'aéroport, soit au point de passage terrestre. Aussi, tous ceux qui entrent en Tunisie payent, même ceux qui ne séjournent pas dans les unités hôtelières. Ensuite, les Tunisiens ne seront plus concernés par cette mesure et ne paieront pas de taxe sur la nuitée, ce qui contribuera à améliorer la part du tourisme intérieur, actuellement, avec uniquement 7%. Par ailleurs, l'instauration de cette taxe au plus vite contribuera à renflouer les caisses de l'Etat : si on estime une taxe de 10 euros, cela génèrerait quelque 60 millions d'euros, soit environ 120 MD tunisiens. Quel rôle de la FTAV dans la mise en place de la stratégie du tourisme ? La FTAV a un rôle primordial dans la stratégie baptisée, aujourd'hui, «3+1» : Qualité/brending/diversification et modernisation du secteur. L'Unité de Gestion par Objectif s'est adaptée à la réalité du secteur et à ses problèmes, et la stratégie est finalement entrée en application. L'ensemble de la profession est présent et surtout efficace et travaille en étroite collaboration avec l'administration de tutelle. Nous tablons sur 7 millions de touristes en 2014, avec une amélioration de la qualité du produit. Et le tourisme intérieur dans tout cela ? Le taux du tourisme intérieur est de 7%. La grande problématique de ce créneau, c'est le comportement du touriste tunisien. Il réserve toujours tard et, par conséquent, il paye le prix fort. Par contre, si on réserve tôt, on bénéficie de tarifs préférentiels. A mon sens, il faudrait que les agences de voyages s'engagent davantage, collaborent avec les hôteliers et prennent plus de risques. Et les Tunisiens, qu'ils soient individuels, familles, ou encore groupes, à travers les associations professionnelles, sont appelés à passer par les agences de voyages pour bénéficier des meilleurs prix et services. Un grand effort est à engager pour réconcilier le Tunisien avec le tourisme. Et la réussite dépendra du degré de satisfaction du client. Or, des fois, nous rencontrons des problèmes, notamment au niveau des excursions dédiées aux Tunisiens. Comment cela ? Le transport constitue un grand problème qui entrave la bonne marche du secteur touristique, notamment du tourisme intérieur. Il y a deux types de transport : celui connu, concernant les circuits définis et visé par le ministère du Tourisme ; le transfert des touristes et le transport des excursionnistes. Ce dernier constitue un contrat ponctuel faisant partie des activités ordinaires d'un agent de voyages et qui implique les ministères du Tourisme, de l'Intérieur et des Transports. Les chauffeurs de bus touristiques se font arrêter et payent des amendes de l'ordre de 700 dinars, parce qu'ils transportent des Tunisiens ! Il faut s'entendre : est-ce que le Tunisien est considéré comme un touriste ou pas ? Quand on s'engage dans une promotion du tourisme intérieur avec pour objectif d'améliorer sa part dans les nuitées globales, et pour qu'il soit un matelas sur lequel repose le tourisme, en cas de crise, il faut savoir sur quel pied danser. Je pense qu'il faudrait définir le rôle de chacun pour la bonne marche du secteur. Le Tunisien dans son pays n'est pas considéré comme touriste visiblement; or, si l'on se réfère à la définition du touriste de l'OMT, dont la Tunisie est membre, le touriste est celui qui se déplace hors et à l'intérieur des frontières.